
Blessés de guerres et des armées, handicap et reconstruction par le sport
Christine LECHEVALLIER,
Maître de conférences associée de droit public, Université Blaise Pascal
« L’armée de la République est au service de la Nation » stipule le code de la défense1. À cet égard, l’état militaire comporte un ensemble d’obligations, de devoirs et de sujétions. En effet, le risque est inhérent au statut de militaire et le distingue de toute autre condition. En contre-partie de quoi, la loi garantit un lien indéfectible avec la nation qui passe par la reconnaissance, « le maintien d’un lien avec l’institution » pour tous, actifs ou retraités de même qu’une prise en charge effective des blessés et un soutien à leur famille. Le statut prévoit ainsi « des garanties et des compensations aux contraintes et exigences de la vie » que l’état de militaire implique et qui sont susceptibles d’avoir des incidences sur les activités professionnelles, et les conditions de vie des militaires et de leur famille.
Pendant longtemps les décorations ont été les seules marques de considération et de reconnaissance institutionnelle données aux combattants, si ce n’est le vif intérêt de Louis XIV et de napoléon 1er pour leurs soldats, et quelques initiatives ponctuelles comme celle du capitaine de gendarmerie PAOLI qui créa en 1888 la caisse nationale de la gendarmerie2. Le droit à réparation, lui, est apparu avec la première guerre mondiale qui constitue alors un élément déclencheur de la politique de santé publique. Un système de santé s’est alors instauré dans l’urgence sous la responsabilité et le contrôle de l’État, qui a organisé les soins de façon globale, mettant en place pour la première fois, des processus coordonnés d’évacuation, de soins, de réadaptation et de réinsertion, afin de reconstituer le capital humain pour très vite le renvoyer sur le front. Cette organisation s’est confortée, adaptée et pérennisée tout au long du XXième siècle pour prendre en charge la blessure physique et s’est accompagnée de la construction d’un réseau de solidarité. Par la suite la guerre du Golfe a conduit à l’inscription du syndrome post-traumatique dans le guide barème des pensions militaires d’invalidité en 1992. Mais il faut attendre le XXIième siècle pour que le suivi des blessés devienne un élément à part entière de la condition militaire et que diverses mesures réglementaires puissent améliorer leur situation.


@ Christine Lechevallier
Le concept de l’action sociale s’est concrétisé et généralisé avec le premier code de la famille en 1938, qui alors remplace la notion de charité par celle de solidarité, déclinée en droits sociaux et justice sociale3. L’action sociale s’est ainsi développée progressivement dans l’armée, comme dans toutes les structures professionnelles, passant d’une politique de réparation, à celle de compensation pour faire enfin partie intégrante de la gestion des ressources humaines. Aujourd’hui encore, elle doit s’adapter aux nouveaux comportements de la société empreints de beaucoup de violence et ainsi conforter les dispositifs traditionnels, tout en offrant une protection plus globale et élargie à la prévention.
C’est en 2014 que les parlementaires se saisissent à leur tour du sujet, dressant un premier état des lieux4 tandis que la loi de programmation militaire 2019-2025 reconnaît les contraintes et les sujétions et veut simplifier, alléger les procédures administratives et médicales de reconnaissance et de prise en charge. On parle désormais de « parcours du blessé »5.
Le risque lié aux activités militaires entraîne d’inévitables et nombreuses blessures aux degrés de gravité différents, avec des conséquences et répercussions sur la vie du militaire tant au plan professionnel que personnel. Dès lors les différentes forces armées se fixent comme objectif de « permettre à chacun de retrouver leur place dans la communauté militaire et dans la société »6.
Entraide et solidarité, deux valeurs étroitement liées qui s’inscrivent dans l’histoire militaire, et demeurent aujourd’hui encore, un enjeu majeur face à l’augmentation des victimes du devoir. Elles vont être réaffirmées grâce à la reconnaissance des blessures (I) et à la volonté d’accompagner le blessé dans un parcours de santé adapté et individualisé (II), bien souvent construit autour d’activités sportives (III). Les témoignages recueillis vont venir attester de la réalité du parcours du militaire blessé.
I- Prise en charge et reconnaissance des blessures
Le blessé quelque-soit la nature de sa blessure (A) doit aborder un parcours difficile (B) au cours duquel le ministère des Armées va alors le prendre en charge non seulement pour les soins mais va aussi lui proposer un soutien et un accompagnement constant.
A- La blessure : une douleur physique, mais aussi psychique
La prise en charge des blessés et le soutien aux malades, sont autant de préoccupations qui se sont imposées progressivement à l’institution militaire depuis le début du XXième siècle, avec les blessés de la première guerre mondiale. Chaque village, chaque famille a été confronté à la blessure ou à la mort, et les actions mises en œuvre alors sont les prémices de la construction du réseau de solidarité et d’entraide actuel. Mais la blessure du soldat demeure méconnue, elle ne trouve un écho que récemment dans la société, avec la montée du terrorisme, les dramatiques accrochages lors des opérations extérieures (2°), et la médiatisation des blessures psychiques (1°) et du syndrome post-traumatique (3°).
1°- Les blessures de guerre
« Le blessé de guerre n’est pas un blessé comme les autres »7, c’est souvent un polytraumatisé qui va demander des traitements de longue durée, avec des lésions complexes provoquées par des projectiles, l’explosion de mines, ou engins artisanaux, et qui vont parfois jusqu’à nécessité l’amputation. « C’est un blessé, mais dans les premières semaines, c’est aussi un héros qui va être honoré comme tel et puis le temps passant, il tombe dans l’oubli, créant un vide, et c’est là que les difficultés se multiplient, et le parcours vers la reconstruction devient difficile » confie Ludovic qui a bien voulu en témoigner8. Engagé dans l’armée à 17 ½ ans, il a été affecté au 1er RPIMA (régiment parachutiste d’infanterie de marine) à Bayonne. Il est intégré à la brigade des forces spéciales qui a vocation à assurer des missions un peu spécifiques comme la protection de hautes autorités et des ambassades, la recherche de ressortissants, ou de criminels de guerre. Ludovic a bourlingué sur presque tous les continents, enchaînant des missions de plusieurs mois passant par le Gabon, l’Afgansitan, le Kossovo, la Serbie, le Rwanda, des théâtres d’opérations dont les noms sont malheureusement familiers. Il a connu la forêt amazonienne à la fois hostile et grandiose, l’ambassade de Bangui, mais aussi la grande patinoire olympique de Zetra à Sarajevo transformée en stand de tir, les ponts mythiques de Vrbanja, de Mostar, ou de Mitrovica devenus des lieux d’affrontement réguliers, avant d’être gravement blessé en Côte d’Ivoire.
Il se souvient : « C’est aux alentours de midi qu’on a été bombardé : 9 morts et 47 blessés. J’étais parmi ces blessés. En plus d’être blessé en multiples endroits sur le corps par des éclats de bombes, j’ai subi un blast de l’oreille. J’ai réussi à me relever et porter secours à mon équipage, malheureusement mon pilote était décédé, et deux autres gravement atteints ». D’abord évacué sur Abidjan, et puis en urgence, par avion sur la France avec les autres blessés, Ludovic a été accueilli à l’hôpital Perçy, en soins intensifs. « J’avais au total 23 éclats dans le corps ; certains superficiels qui ont pu être retirés, et d’autres que j’ai toujours encore aujourd’hui, car bien trop proches du foie, du pancréas, et du cœur. J’avais aussi un éclat entre des vertèbres et un autre qui touchait le nerf sciatique ». Il restera un an à l’hôpital allant d’opérations en rééducation pour réapprendre à marcher, à se déplacer. « Tous les moyens sont mis à notre disposition que ce soit sur un plan chirurgical, social, psychologique pour nous reconstruire. Perçy est un hôpital avec toutes les technologies de pointe, Quand je suis ressorti, je n’avais pas retrouvé toutes mes facultés, mais j’étais à 80% de mes capacités ».
Le parcours du blessé n’est donc pas évident, Au-delà de la blessure physique, la blessure psychologique peut vite poindre, dit Ludovic : « Au départ on est à l’hôpital, on est entouré, on est soutenu, on reçoit des témoignages, des lettres ». En effet, les premières semaines pour Ludovic furent très intenses, répondre aux nombreuses sollicitations, car la France n’avait plus subi d’aussi grosses pertes depuis bien longtemps, « on est pris pour des héros et les visites s’enchaînent, élus nationaux, locaux, ministres, chefs de corps, associations, journalistes, se pressent à notre chevet». Au fil des jours, ces témoignages de reconnaissance s’estompent, et la chambre d’hôpital commence à s’emplir de silence, et Ludovic de raconter : « C’est normal, mais pour le blessé c’est aussi le temps de la prise de conscience de la dure réalité. Après toutes ces visites, le régiment prend le relais avec 1 à 2 visites par semaine, mais il doit lui aussi poursuivre ses missions et repartir. Cela ne veut pas dire qu’il oublie ses blessés, il va désigner quelqu’un pour venir le visiter, un pour ce mois-ci un autre pour le mois suivant, mais on voit de moins en moins de personne, pour ne plus voir enfin de compte que la famille, quand on a la chance, comme moi, d’avoir une famille disponible. Les chambres voisines se vident aussi, les blessés plus superficiels s’en vont et il ne reste plus que les blessés graves. il se passe ainsi 4 à 5 mois, les copains sont repartis, et, le téléphone sonne de moins en moins aussi ». Au delà de 6 mois le silence s’installe progressivement. Arrive alors une seconde phase que Ludovic a qualifiée de phase de reconstruction psychologique, parce que continue-t-il, « quand on est hospitalisé avec son compagnon de combat qui se gratte un orteil imaginaire en disant qu’il a mal au pied, alors que ce pied même n’est plus là, il faut se reconstruire aussi psychologiquement, Il faut relever la tête ».

Après un an d’hospitalisation et des mois de rééducation, Ludovic doit envisager son avenir. Pour lui à ce moment il n’est pas question de se séparer de ses collègues, après ce qu’ils ont vécu, ils ne peuvent que rester ensemble, mais très vite il se rend compte qu’il ne peut plus sauter en parachute, ni repartir en outre-mer, il demande alors à être muté. Là, dans un autre régiment, il s’est vraiment senti seul, comme à l’écart. Personne ne connaît sa blessure profonde même si son parcours, lui, est connu.
Après un an d’hospitalisation et des mois de rééducation, Ludovic doit envisager son avenir. Pour lui à ce moment il n’est pas question de se séparer de ses collègues, après ce qu’ils ont vécu, ils ne peuvent que rester ensemble, mais très vite il se rend compte qu’il ne peut plus sauter en parachute, ni repartir en outre-mer, il demande alors à être muté. Là, dans un autre régiment, il s’est vraiment senti seul, comme à l’écart. Personne ne connaît sa blessure profonde même si son parcours, lui, est connu. Ses collègues ne peuvent pas avoir de compassion car ils n’ont pas vécu ces mois de détresse physique et morale. « Pas évident de se mettre en place dans un régiment nouveau, dans une ville nouvelle, avec des hommes nouveaux » confiera-t-il, mais c’est aussi une seconde vie qui s’ouvre à lui et qui trouve un nouveau sens auprès de sa famille mais aussi dans un bureau dont la mission est de venir en aide aux blessés et à leur famille. « Je crois que c’est important que ce soit quelqu’un qui ait été lui-même blessé qui s’occupe des blessés, car il connaît intimement les différentes phases : la phase de présence, la phase de relâchement, la phase de doute, la phase des décisions».
Si « les blessures au combat revêtent une charge symbolique »9 et émotionnelle forte, les opérations intérieures, la préparation opérationnelle, les exercices, les manœuvres, l’entraînement, sont également autant de circonstances susceptibles de provoquer des blessures. Même si médicalement elles sont plus simples, elles n’en sont pas pour autant moins graves, et surtout elles ne doivent pas être minimisées pour ne pas risquer de « creuser un fossé entre combattants et non combattants »10.
Le nombre des blessés en OPEX va présenter des écarts importants en fonction du contexte opérationnel, et peut varier de 168 en 2011, à 20 au 12 mai 201911 pour se situer le plus souvent autour de la cinquantaine comme en 2009, 2014 et 201812. Par ailleurs, sur le territoire national, les policiers, les gendarmes ou les pompiers effectuent de plus en plus souvent de missions dangereuses, les blessures à cette occasion sont en constante augmentation, de même que le nombre des agressions ayant des répercussions physiques13. En 2018, 228 pompiers de la brigade de Paris ont été blessés en intervention, 2306 gendarmes du fait d’agressions physiques en mission dont 44% par arme ; les blessures consécutives à une agression physique se sont accrues de 30 % en métropole et 111 % en Outre-Mer, enfin le nombre de gendarmes tués pèse lourd dans ce bilan avec 54 décès entre 2014 et 2018 dont 14 pour la seule année 201814. « Tous les ans, près de 8000 gendarmes sont blessés », a rappelé le Général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, après le drame survenu dans le Puy-de-Dôme, soulignant ainsi la hausse des risques encourus en opération15. Ces chiffres sont confortés par les statistiques de l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui décompte 10 790 agents blessés « en mission » en 2018. Cette hausse concerne tant la police (+ 16%) que la gendarmerie (+ 13%), et au sein des forces de l’ordre, le nombre total des blessés « en mission » et « en service » s’élève à 20 306 en 2018. L’Observatoire rapporte également que dans 11% des cas, les blessures ont été occasionnées à l’aide d’une arme16. Si les chiffres de 2020 ne sont pas encore connus nous pouvons néanmoins déplorer de nombreux blessés et tués, tous victimes du devoir, en allant au bout de leur engagement, tous « des héros du quotidien ».
2°- Qu’est-ce qu’une opération extérieure (OPEX) ?17
Malgré les risques encourus, et connus « partir en opération c’est ce qu’on attend tous » confie l’officier d’infanterie Christophe qui est parti dix fois en opérations extérieures, à chaque fois dans un pays différent. « J’estime avoir une carrière très riche, aux expériences nombreuses et variées, à des niveaux de responsabilités très divers, parfois dans des milieux difficiles au contexte opérationnel marqué ».

Une OPEX dure généralement quatre mois. « On part sans notre famille et sans possibilité de retour sur toute la période. Ces séparations sont plus difficiles à vivre pour les familles que pour nous, car le moment du départ passé, on est complètement pris par la mission et l’exaltation de l’aventure qui s’ouvre à nous ».
Les premières opérations auxquelles Christophe a participé entre 1990 et 2008 étaient relativement sécurisées pour les troupes françaises. A partir de 2008, elles sont devenues beaucoup plus systématiquement violentes. Cela correspond aussi à l’essor de l’idéologie terroriste au Moyen-Orient et en Asie centrale, désormais exportée aussi en Afrique sahélienne. L’armée française s’est adaptée très vite: évolution des modes d’actions, intégration de nouvelles technologies, nouveaux matériels. Si les OPEX sont de plus en plus violentes et de plus en plus risquées, cela n’affecte pas en soi la volonté du soldat. Il y a même étrangement une forme d’attrait pour ces théâtres d’opération avec ses doses d’adrénaline et ses aventures humaines à nulle autre pareille. « La peur ou l’angoisse, nous la vivons plutôt avant ou après l’opération, souvent au travers du regard des familles ». De même, si ces actions violentes sont fréquentes, elles sont aussi très localisées et souvent sans trop de dommages pour les soldats. De fait, la perception du terrain n’est pas du tout celle que peuvent en avoir les familles ou les français, car il existe un véritable décalage entre l’information délivrée par les médias, parfois à la recherche du sensationnel ou de l’image choc, et la réalité vécue en OPEX, même si le danger est toujours omniprésent.
En 25 ans de carrière, Christophe a arpenté tous les continents, à l’exception des Amériques. Ces expériences ont été enrichissantes, chacune avec sa spécificité, des souvenirs très différents mais toujours intenses. Parmi ces opérations, deux l’ont plus particulièrement marqué, qu’il a bien voulu, non sans émotion partager. Tout d’abord en Bosnie, sur les flancs du mont Igman à 2000 mètres d’altitude, où il a tout à la fois, croisé, à l’occasion de patrouilles bien souvent dans le brouillard et la tempête, la misère, en rencontrant des habitants des villages environnants, très isolés et vivants dans un dénuement inimaginable pour le jeune officier qu’il était, ou, l’insolite comme ce 25 décembre 1997 en faisant la descente olympique, sous un soleil radieux et dans une neige immaculée. La blessure, quant à elle, « je l’ai trouvée sur ma route, lors de l’opération Serval au Mali ». En janvier 2013, La France lance en quelques heures une opération militaire d’envergure en appui aux forces armées maliennes. Christophe débarque de l’avion à Bamako ; à peine le temps de s’installer qu’il suit l’avance des unités françaises : Tombouctou, Gao. Là, il reçoit l’ordre de constituer un détachement de liaison chargé de coordonner les actions des unités maliennes avec les unités françaises. « Nous allons vivre trois semaines d’une intensité incroyable, ponctuées de rencontres improbables, de nuits étoilées, de sable chaud mais aussi d’actions violentes. Trois actions de guerre en quelques jours ».
Puis un matin, lors d’un déplacement à l’aube, ils sont pris dans une embuscade. « Dès les premiers échanges de tir, mon chef de bord, assis à côté du chauffeur, s’écroule, touché à la tête. Je sais d’instinct qu’il a été tué sur le coup, mais je n’ai pas le temps de réaliser ; je fais décrocher mon groupe alors dans une situation inconfortable ». Il faut sortir de la zone de combat et secourir les blessés. « Le groupe médical arrive très vite. Un médecin prend en charge mon chef de bord et le conducteur traumatisé ; il est 11h, ils sont évacués par hélicoptère. Tout à coup, l’ivresse des jours précédents est retombée, annihilée par l’amertume d’une perte au combat. Il faut continuer, repartir. La mission n’est pas finie. Le soir, j’apprends officiellement la mort de mon chef de bord. Je suis effondré, mais je ne dois pas le montrer, pas trop du moins. Il me faut en informer les autres, il me faut trouver les mots. Le moral est au plus bas, on pense à lui, à sa famille…. On passe la soirée ensemble et je retiens mes larmes ».
De retour à Gao, Christophe se posera beaucoup de questions, il revient sur ce qui s’est passé, ce qu’il aurait pu faire, ou n’aurait pas dû faire. D’instinct il a réuni l’équipe « même si on n’apprend pas dans les manuels ce qu’il faut faire en ces circonstances, je sentais qu’il fallait libérer leur parole, débriefer. J’ai alors pris conscience que la perception du combat était très différente d’une personne à l’autre, en fonction de l’endroit au moment de l’action. On avait vécu le même événement et pourtant, on ne le décrivait pas de la même façon. Pour moi cela a été très rapide, instantané, pour d’autres ce fut une sorte de ralenti non maîtrisable. Chacun a vécu ces instants, concentré sur un champ de vision restreint, comme avec des œillères. Et puis l’émotion peut déformer la mémoire et apporter des contradictions, des confusions. Mais il était important d’en parler, de confronter notre vécu. J’ai ensuite demandé à un médecin de venir prendre le relais pour nous aider à évacuer au plus tôt ce choc afin d’éviter qu’il ne se transforme en un traumatisme durable ». Ils ont alors été envoyés sur une nouvelle mission moins exposée afin de reprendre confiance et de laisser de côté, pour un temps, ce moment terrible. Quatre semaines plus tard, ils repartaient non loin du lieu des combats précédents. « L’émotion était très forte, palpable, mais nous étions plus vigilants, encore plus professionnels, aguerris, attentifs les uns pour les autres. Le retour en France, lui, a été éprouvant. J’ai ressenti une grande lassitude et l’impossibilité de prendre du recul, Je me suis senti tel un zombi, dans un état second, jusqu’à la permission estivale suivante où là j’ai pu enfin totalement décrocher ».
Aujourd’hui encore, il décrit cette opération comme exaltante et tragique, l’équipe est restée soudée et garde d’excellents souvenirs, mais elle ne peut oublier. « J’apprends à vivre avec. Il est là, en photo et dans ma mémoire. Je pense régulièrement à lui, à sa femme et ses deux enfants ». Si Christophe a réussi à surmonter ce drame, de même que les situations cauchemardesques vécues, ce n’est malheureusement pas le cas de tous les militaires revenant d’opérations extérieures.
3°- Le syndrome post traumatique (SPT)
Pendant longtemps la blessure psychique, parce qu’elle était invisible, a été ignorée. Il faut attendre la première guerre du golfe en 1990 pour que des psychiatres soient envoyés sur le théâtre même d’opérations et ainsi aller à la rencontre des hommes pour dépister au plus tôt les soldats en souffrance. Bien que reconnu depuis 1992, ce n’est qu’en 2011, que le blessé post-traumatique trouve enfin sa place au côté du blessé physique avec l’inscription du fait psychique dans la stratégie de santé du ministère de la Défense autour de trois axes prioritaires : tout d’abord « une meilleure réhabilitation psycho-sociale des blessés psychiques » » ensuite « la consolidation des dispositifs d’accompagnement vers l’emploi » enfin «le renforcement des actions de sensibilisation et de prévention » en particulier à l’attention des familles comme sentinelles d’alerte18.



@ Christine Lechevallier
Engagé en 2000, Julien a combattu pendant plus de 10 ans, sur différents théâtres d’opérations extérieures avant d’être victime en 2012 d’un SPT suite à un suicide bomber où 4 de ses camarades ont trouvé la mort. Le diagnostic n’est pas immédiat, il revient en France quelques mois avant de repartir au Mali. L’élément déclencheur sera cette annonce dans son casque d’un suicide bomber avéré à 6km de Gao, alors qu’il était en patrouille. « J’ai alors eu des hallucinations, des flashs, je me suis senti déconnecté du monde réel, comme ailleurs ». Il a été rapatrié en France au Val de Grâce. « C’était des crises d’angoisse, des crises de larmes, des cauchemars, des flash-back en permanence et une colère violente ».
Dans un premier temps, j’ai eu un lourd traitement médicamenteux. Puis des thérapies ont été mises en place, la psychothérapie avec le EMDR25, qui a été très efficace. S’ensuivirent dans un second temps, des phobies, des pulsions terrorisantes qu’il a traitées par une thérapie classique mais salvatrice, vécue comme une véritable délivrance ; « j’ai vu beaucoup de psychiatres, de psychologues. Mais pour que cela marche, il faut aussi le feeling avec le thérapeute. Les statistiques montrent qu’en France, il faut en moyenne en consulter une dizaine. Moi c’est au 7ème que j’ai trouvé la thérapeute qui a su trouver les mots, la clé pour me stabiliser ». « Quand je suis rentré du Mali, j’étais une espèce de légume mais, il n’était pas question de sombrer dans l’isolement. Un ami m’a poussé à reprendre le rugby et cela m’a fait beaucoup de bien, le dépassement de soi alors qu’on ne se sent pas bien, même si on est triste, si on a mal! « À ce moment c’est aussi une sorte de sacrifice, oublier qu’on a mal, et penser aux autres, à ceux qui nous entourent ». Le sport est très important dans la reconstruction, certains vont trouver de la »zénitude » dans le tir à l’arc, d’autres ont besoin d’adrénaline, de sensations fortes et vont vouloir sauter en parachute, et pour d’autres ce sera le rugby. »
Au niveau professionnel, Julien n’a plus jamais eu le droit de repartir, un véritable crève-cœur pour lui alors que c’est le cœur même de son métier. Aujourd’hui, il cherche à se reconvertir ; il prépare une licence en psychologie, pour devenir éducateur spécialisé, et aider les enfants dans la vie de tous les jours. Quant à sa guérison, Julien répond que « dans le cas d’un SPT, on ne parle pas de guérison, mais de stabilisation. Aujourd’hui même si je ressens moins de haut et de bas, je reste encore sous le seuil de la normale, je ne dors toujours pas la nuit, je veux fuir mes cauchemars. Et puis il y a l’actualité ! … avec ces trois soldats décédés au Mali, ou encore les trois gendarmes d’Ambert, qui nous touchent vraiment et fait revenir à chaque fois les souvenirs de notre propre expérience ». Pour Julien la guérison n’est jamais totale, « le but est de retrouver la stabilité, mais on ne peut pas oublier », et Ludovic qui a connu tout à la fois la blessure physique et la blessure psychique confirme que la seconde ne se ferme jamais totalement, de même que leur vigilance reste affûtée. Écoutons les témoigner « Le stress en opération est permanent. Que ce soit en patrouille ou en repos on est toujours sur le qui-vive, et puis il y a le bruit, les explosions, les bombardements. Les inquiétudes liées à ces bruits perdurent au-delà du retour en métropole. Le pot d’échappement, les feux d’artifice sont autant de bruits stressants et qui ravivent des peurs inconscientes. Le sas de décompression de fin de mission est réalisé comme une aide au retour à la vie normale, mais en fait on ne revient jamais totalement à une vie normale, on a toujours peur de perdre la vie, d’autres copains, et puis il n’est pas normal de se faire tirer. Alors, le corps acquiert des réflexes, et lorsqu’il a le réflexe de se cacher à chaque bruit de bombardement, et qu’il se retrouve confronté à un bruit urbain agressif le corps se plaque instinctivement au sol. De même, quelqu’un qui meurt dans vos bras, n’est pas un événement anodin, il y a des dates que vous n’oublierez jamais. La carrière militaire est ainsi ponctuée d’événements qui ne s’effaceront jamais, c’est humain».
Frédéric26, rencontré au Centre National des Sports de la Défense de Fontainebleau, lors d’entraînements pour les Invictus Games, confie en des termes similaires ses appréhensions. « Au restaurant je me place toujours près de la porte, j’évite de prendre les transports en commun, en particulier le train, car une fois qu’il est en marche on ne peut plus sauter, se sauver. J’appréhende la foule, j’ai peur pour moi, peur aussi pour ceux qui sont autour de moi ». Comme Julien, Frédéric ressent une profonde et sourde colère, une colère contre lui-même contre son état qu’il n’arrive pas à accepter, contre les traitements médicamenteux qu’il est contraint de prendre régulièrement. Pour gérer cette colère, Frédéric pratique le crossfit, par séance de 15mn et ainsi s’évader pour mieux se ressourcer.
Chaque armée pilote le soutien psychologique apporté à son ressortissant, comme l’armée de terre qui s’appuie sur son réseau de psychologues et de médecins du service de santé des armées (SSA). Ces derniers sont affectés dans les différents hôpitaux militaires et vont intervenir dans la définition et la mise en place du suivi de proximité. Ils sont également présents sur la plupart des théâtres d’opération pour le soutien des soldats. Malgré un travail de proximité, les blessures psychiques demeurent difficilement quantifiables. À ce jour, aucune définition législative ou réglementaire de la blessure militaire n‘existe si ce n’est les instructions relatives à l’homologation de la blessure de guerre. D’ailleurs, l’état-major des armées confirme qu’ « il n’existe pas de définition générique et partagée de ce qu’est un blessé militaire »27. De ce fait, il est difficile de quantifier et de qualifier précisément les blessures bien que chaque entité militaire les comptabilise, mais en fonction de ses propres critères et besoins.
B- De la prise en charge curative à la prise en charge préventive
Le traitement et la prise en charge des blessures représentent un défi constant pour les forces armées qui vont déployer un dispositif d’envergure pour accompagner le militaire (1°). Mais comme le rappelle les deux députés28 auteurs du premier rapport de 2014 « la meilleure prise en charge d’une blessure ou d’un incident est la prévention »29(2°).
1°- Le parcours de prise en charge du blessé
Lors de la prise en charge du blessé par l’institution militaire, on parle de parcours du blessé et les dispositifs qui l’émaillent sont nombreux et complexes. Ils consistent d’une part en un parcours de soins adaptés nécessaires « à la consolidation des blessures et à la réhabilitation physique ou psychique »30 qui sera coordonné par le médecin des forces ; d’autre part en un parcours administratif comprenant : l’inscription au registre des constatations, la déclaration d’affection présumée imputable au service (DAPIAS), le placement dans l’un des quatre congés statutaires qui déterminera le statut médical du blessé et aura des conséquences sur sa réinsertion. Celle-ci peut aussi ouvrir sur un nouveau parcours qui sera celui de la reconstruction ou vers une reconversion professionnelle et sociale. Enfin, le parcours de reconnaissance et de réparation financière, pour prétendre à la pension militaire d’invalidité et/ou de l’indemnisation de préjudices complémentaires, se déroule en parallèle, à la demande expresse du blessé. Ces différentes prises en charge vont faire intervenir de nombreux acteurs qu’il convient de coordonner dans un accompagnement pluridisciplinaire et transversal ; c’est le rôle des commissions de suivi. De même, le ministère des Armées propose aujourd’hui un accompagnement individualisé, quasiment du »sur mesure » », aux militaires blessés, car il est indispensable d’adapter ces parcours aux situations individuelles.
Que ce soit au moment de sa blessure ou pour la poursuite des soins, le blessé, en dehors des OPEX, conserve le libre choix de son médecin ou de la structure de soin et peut ainsi bénéficier d’un suivi en milieu militaire et/ou civil. Quelle que soit la nature ou la cause de la blessure, les forces armées portent un soutien indéfectible à leurs ressortissants, comme en témoigne ce blessé : « Je suis rentré dans l’armée en 2007 et en janvier 2010, j’ai un accident de moto en allant au travail, qui m’a coûté la jambe. L’armée ne s’occupe pas seulement des militaires en opération, elle s’occupe aussi de ceux en service, les malades, les blessés de la vie, j’en suis la preuve, et malgré l’accident de moto, je suis toujours dans l’institution »31. Un travail en réseau s’instaure alors entre les professionnels de santé civile et militaire pour garantir des soins au plus près du domicile32. Ainsi à chaque moment de son parcours vers la guérison, le blessé aura donc un interlocuteur approprié. Le premier maillon de cette chaîne est le régiment qui est un acteur clé ; son implication est fondamentale tant sur le plan pratique que symbolique, la notion de frère d’armes n’est pas un vain mot. Grâce à ce soutien de proximité le blessé disposera des premières informations.
Aujourd’hui, même si l’accompagnement apporté se veut de proximité et adapté, il demeure malgré tout bien souvent méconnu. Pourtant des outils très complets et accessibles existent, à savoir « le guide du parcours du militaire blessé et de sa famille » édité depuis 2015, ou le site du ministère des Armées qui comporte des onglets destinés aux militaires blessés et à leurs familles33.
2°- Les dispositifs de prévention
Le traumatisme psychologique est une préoccupation forte de l’armée qui, pour le prévenir ou le détecter au plus tôt, a mis en place un plan de prévention. Celui-ci comprend différents dispositifs comme la sensibilisation des familles, le numéro vert « écoute défense »34 qui fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Des psychologues du SSA proposent aux militaires et à leur famille un accueil et une écoute spécialisée et une orientation thérapeutique adaptée à leur souffrance. Initialement centré sur le syndrome post-traumatique (SPT), le numéro s’est élargi au harcèlement, à la discrimination et à la violence sexuelle puis ouvert aux familles de militaires. En cinq années, le nombre d’appels reçus a doublé passant de 330 à 666 par an35. Le service de santé des armées dispose également de psychiatres et de psychologues, et chaque armée organise en parallèle son propre soutien psychologique.
En OPEX les troubles du comportement sont la source principale des évacuations36. Pour cela, dans chaque régiment, un cadre va être formé pour identifier les premiers signes, afin de ne pas laisser le traumatisme s’installer par manque de dialogue. De même, au retour de mission, les soldats revenant par exemple du Mali ou d’Afghanistan vont passer par un sas de décompression, situé pendant quelques années à Chypre et actuellement en Crête. Il ne s’agit pas d’un dispositif médical, mais d’un protocole transitionnel préventif permettant une rupture psychologique et physique progressive avant le retour à la vie quotidienne en France. « Pendant trois jours, nous sommes pris en charge dans des structures d’accueil agréables, avec au programme des temps de repos, des activités sportives et culturelles, mais aussi et surtout des entretiens avec un psychologue, entretiens collectifs et individuels pour faire un point sur la mission, refaire ensemble le film de l’action pour évacuer ensemble les souffrances vécues37 ». Ce temps d’extériorisation est important car il facilite le retour au quotidien, il permet d’identifier les blessés psychologiques et d’enclencher très rapidement une prise en charge, la charge émotionnelle pouvant devenir chronique ou n’apparaître que plusieurs années après, comme c’est le cas chez certains militaires diagnostiqués en 2019, revenus de l’opération serval au Mali en 2013 ». Ainsi, le sas dont les bénéfices sont avérés, se déroule selon un programme éprouvé38 qui comporte des activités obligatoires comme les séances de dialogue avec les psychologues, et des animations facultatives telles les visites culturelles. Outre l’identification et la prévention des difficultés psychologique, il poursuit plusieurs objectifs centré autour du repos, de la reconnaissance de la mission accomplie, et surtout de la préparation au retour, et au retour à la vie de famille.
II- Les acteurs institutionnels intervenant dans la prise en charge du blessé
Les structures sont nombreuses à intervenir pour garantir d’une part les prises en charges médico-chirurgicales (A) et d’autre part les accompagnements sociaux (B).
A- Le parcours médicalisé
La guerre est une constante de l’humanité qui impose de concevoir et mettre en œuvre des dispositifs toujours plus innovants pour soigner ses blessés. Bien souvent ingénieuse pour répondre aux besoins impérieux des conflits armés qui sont des situations d’exception, la médecine militaire s’est ainsi structurée et organisée progressivement au fil des siècles avec en particulier l’Institution Nationale des Invalides( 2°) et le service de santé des armées (1°).
1°- Le Service de santé des armées (SSA) 39
Fort d’une expérience, multi-séculaire (a), le SSA déploie une activité pluri-dimensionnelle d’excellence tant au regard de la médecine quotidienne (b) que de la médecine de guerre (c).
a)- Un service au riche passé
Le SSA est riche d’une histoire médicale et militaire de plus de 3 siècles, qui s’est construite progressivement grâce à la volonté de rois ou empereurs qui avaient une réelle sollicitude pour leurs soldats. « Au fil de son histoire, le SSA a contribué, voire inventé, la chirurgie de guerre. Ainsi, sous le 1er empire, le chirurgien Larrey arrivait à faire des amputations de membres en 1 minute, à une époque où l’anesthésie n’existait pas encore. Avec le baron Percy, ils sont intervenus auprès de Napoléon 1er pour constituer un corps de légion d’ambulances dès 1797. De même, concepteurs du ramassage à la française, ils posèrent les fondements du parcours de prise en charge du blessé en plusieurs étapes à partir du champ de bataille pour le ramener au plus vite à l’hôpital, le triage médico-chirurgical n’étant instauré de façon formelle qu’avec la guerre de 14-18. Celle-ci a d’ailleurs fait de la rééducation une spécialité militaire, de même, que la reconstruction et la chirurgie maxillo-faciale avec « les gueules cassées ». Dans les conflits les plus récents, on peut relever la période dite de la guerre froide où le SSA s’est préparé à la prise en charge des blessés radio-contaminés, notamment à travers la conception et la production de comprimés d’iode au bénéfice de la population française en cas d’attaques nucléaires ou de problèmes liés aux centrales nucléaires.


Portraits des chirurgiens Percy et Larrey qui ont donné leur nom à des hopitaux
CC BY 4.0 https://creativecommons.org/licences/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons
L’histoire du SSA est longue, glorieuse, liée à l’histoire des champs de batailles, mais aussi discrète et méconnue pour sa période coloniale avec ses médecins tropicalistes, parfois décédés de leur passion médicale à lutter notamment contre la maladie du sommeil, le paludisme, ou la méningite. Beaucoup de médecins militaires ont brillé sur tous les continents, en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Aujourd’hui, le service continue, certes dans une configuration nouvelle, d’œuvrer sur la médecine tropicale, comme, par exemple, à l’hôpital d’instruction des Armées Laveran à Marseille. La médecine a ainsi été amenée au cours de l’histoire à proposer des techniques nouvelles, des prises en charges particulières. En fait, ces avancées trouvent leurs origines dans l’exercice de la médecine en situation d’exception, et à situation d’exception, solution soit d’exception soit totalement innovante. Tandis que ces innovations sont venues enrichir la médecine classique, la médecine de guerre poursuit ces défis. En effet, avec les nombreuses opérations internationales, le SSA est confronté à de nouveaux enjeux, de nouveaux impératifs, en particulier la nécessité d’intervenir en urgence loin de la métropole. Ainsi, a-t-il, par exemple, récemment mis au point l’utilisation du plasma sanguin lyophilisé, seul produit permettant de réaliser une prise en charge transfusionnelle avec des produits d’origine humaine (qui ont été ensuite desséchés) transportables et utilisables sous tous les climats, et en tous lieux. « Là, plus besoin de chaînes frigorifiques, logistiquement complexes à mettre en place, pour transporter une poche de sang, qui n’est pas toujours assurée de parvenir en des endroits reculés » constate Adrien.
b)- Un service d’excellence
Placé sous l’autorité du chef d’état-major des armées, le service de santé des armées est constitué d’environ 14 700 personnes et de 3 000 réservistes40. Il est devenu un service fondamental, reconnu pour son excellence dans « la prise en charge des blessés qui s’inscrit tout à la fois dans l’urgence, dans la durée, dans la proximité et la spécificité ; mais la prise en charge demeure toujours multidisciplinaire ». Il assure en tout temps et toute circonstance le soutien médical auprès des forces armées (Terre, Air, Marine) et de la Gendarmerie en métropole et en Outre-Mer comme sur les théâtres d’opérations. En outre, il propose un suivi médical et médico-psychologique des militaires, et participe à leur suivi médico-social ». « Être au plus près des combats. C’est le cœur de métier du service de santé des armées pour offrir aux blessés la meilleure chance de survie, de récupération et de réinsertion professionnelle et sociale »41 et dont la devise est depuis 2011 « sur mer et au-delà des mers, pour la patrie et l’humanité, toujours au service des hommes »42. Celle-ci n’est pas sans rappeler la citation du Baron Perçy à ses chirurgiens en 1811 « Allez où la patrie et l’humanité vous appelle, soyez-y toujours prêts à servir l’une et l’autre et, s’il le faut, imitez ceux de vos généreux compagnons qui au même poste sont morts martyrs de ce dévouement intrépide et magnanime qui est le véritable acte de foi des hommes de notre état »43.
Pour parfaire ses missions, le SSA apporte une contribution à la santé publique en particulier dans la mise en œuvre des plans gouvernementaux de gestion des risques, ou participe à des missions humanitaires. Il s’investit également dans la recherche et dispose pour cela de structures dédiées comme l’institut de recherche biomédicale ou le centre d’épidémiologie, mais aussi dans la formation avec les écoles militaires de santé, comme celle de Lyon-Bron et du Val-de-Grâce à Paris , ou encore l’école du personnel paramédical des armées (EPPA) qui forment respectivement médecins et infirmiers. Ses équipes de praticiens vont œuvrer ensemble sur le terrain en OPEX, dans les antennes médicales et dans les services hospitaliers 44 .
« Le médecin des forces est le pivot du parcours de soins »45, non seulement il soigne, mais en plus il oriente, coordonne, et informe. Il est présent dans l’une des 197 antennes médicales implantées à proximité géographique des unités armées et de gendarmerie nationale, regroupées au sein de 17 centres médicaux des armées (CMA) et de trois chefferies du service de santé (CSS) qui sont des passerelles de commandement et de coordination. Le médecin d’unité est le premier interlocuteur au plus près du combattant et suit régulièrement les militaires tout au long de leur carrière. Il est le pivot d’un parcours médico-administratif et de réinsertion, parfois long et difficile, et son travail peut nécessiter une étroite collaboration avec les spécialistes militaires et les structures d’accompagnement des blessés mises en place par les forces armées. Il est assisté en cela par le bureau « Offre de soins – parcours de santé » créé en 2012 qui veille à la cohérence et la continuité des parcours entre les établissements46, comme en témoigne Philippe. « Je suis originaire de la région parisienne, aussi le médecin d’unité a fait la demande pour que je sois transféré à Percy. J’ai fait environ 6 mois d’hôpital. Je commençais à remarcher et j’ai eu ma première prothèse. Au mois de juillet, le médecin m’a laissé partir en vacances. Par la suite je revenais régulièrement pour des soins à l’hôpital. Et après, le temps que l’administration me propose un nouveau poste, j’ai pu retravailler un an et demi après mon accident »47.
Le médecin d’unité trouvera aussi, à ses côtés, les 8 hôpitaux d’instruction des armées (HIA) repartis sur le territoire métropolitain48. Si les HIA ont pour mission la prise en charge des blessés militaires de métropole et ceux de retour d’opération, ils ont également une vocation de service public pour leur bassin de population, qui représente 80% de leur patientèle, constituant ainsi un formidable lien entre l’armée et la Nation49. « Cette organisation s’applique uniquement sur le territoire français, et elle est autonome. Par contre elle soutient les forces des trois armées, et à chaque échelon correspond un échelon équivalent dans l’armée qu’elle soutient » précise le médecin-chef Adrien.
c)- Un service tourné vers les soins d’urgence50

crédit : ASAF: Blessés pour la France, n° spécial hors série n°2013, p74, infographie BCISSA
Le SSA a élaboré une chaîne de soutien médical en opération, codifiée autour de quatre structures fonctionnelles appelées « rôles ». Le médecin-chef Adrien qui a vécu plusieurs opérations décrit cette chaîne de sauvetage dont le tout premier stade est « le sauvetage et l’extraction de l’avant et de l’extrême avant, zone à haut risque, où l’accident et la blessure sont omniprésents. Aussi, à moins d’une heure de tous les soldats, une équipe de secours, dans un véhicule blindé, avec un médecin, un infirmier et deux auxiliaires de santé, se tient prête à intervenir. Mais en attendant l’arrivée du médecin de l’avant, c’est le sauveteur au combat qui va gérer les premières minutes de la blessure. En effet, chaque soldat est sauveteur de combat de 1er niveau (SC1), afin de réaliser les premiers gestes qui sauvent : pansement de plaie thoracique, pose d’un garrot, position d’attente, désinfection. En fait, il va, notamment, réaliser le geste qui va éviter que le blessé ne décède d’exsanguination durant les 10 premières minutes. Tous les militaires sont formés, et recyclés annuellement à ces gestes de survie. Ils disposent tous, en opération, d’une trousse individuelle avec le matériel nécessaire, matériel qui d’ailleurs n’a pas été choisi au hasard, s’appuyant en cela, sur le constat de la malheureuse expérience américaine lors du conflit d’Irak en 2003. En effet, parmi les blessés décédés de cause évitable, sur le champ de bataille, 66% l’étaient pas exsanguination, 7% par étouffement des voies aériennes supérieures, et les autres par des atteintes thoraciques et pulmonaires. Le matériel adapté à ces gestes initiaux de survie est donc maîtrisé par chaque soldat, ce qui permet, si le collègue tombe, de l’extraire et de lui venir en aide immédiatement. Ce dispositif permet de gérer les 10 premières minutes ».
En effet, à moins de 10mn de chaque combattant, un sauveteur au combat de niveau 2 (SC2) doit être en mesure de prendre le relais. C’est un auxiliaire sanitaire spécialement entraîné et formé pour assurer les soins complémentaires. Ses gestes doivent permettre de tenir une heure, le temps que le médecin de l’avant arrive avec son équipe. Ce SC2 intervenant lors de la golden hour (heure critique durant laquelle la majorité des blessés décèdent si rien n’est fait), est une personne spécifiquement identifiée comme ayant les capacités intellectuelles et physiques requises pour intervenir et faire des gestes qui relèvent de la situation d’exception. Le médecin lui, va ensuite prodiguer des soins de stabilisation qui peuvent se comparer à ceux des SAMU, et ce en attendant un vecteur d’évacuation vers le rôle 2. Le médecin s’attache à conditionner le blessé le mieux possible (perfusion, intubation…) afin que ce dernier puisse embarquer, aussitôt les transmissions effectuées, avec le médecin en charge de l’évacuation. Dans les conflits modernes, le vecteur d’évacuation le plus employé est l’hélicoptère. La doctrine prévoit que le médecin récupère le blessé dans son véhicule pour le ramener au rôle 1 qui est le poste de secours où il détient le plus de matériel et où l’hélicoptère vient se poser. Mais ce dispositif peut parfois prendre trop de temps, aussi, dès lors qu’il y va de la survie du blessé et avec les moyens modernes d’évacuation cette étape est remplacée par une évacuation plus précoce vers le rôle 2. À cet effet, l’hélicoptère ira se poser à proximité immédiate du blessé.
Le médecin Adrien résume cette prise en charge au niveau du rôle et précise : « Le SC1 va faire le geste qui sauve, le SC2 va le maintenir jusqu’à l’arrivée du médecin, dont le boulot est de le confier vivant au médecin de l’hélicoptère qui devra l’amener à l’hôpital où le chirurgien apportera les soins définitifs qui doivent le sauver ». Cette chaîne vise à amener les blessés vivants au chirurgien qui les opère au rôle 2. Ce trajet se dénomme l’EVASAN, et doit assurer les meilleurs taux de survie possibles, avec un objectif idéal : l’arrivée sur la table d’opération en moins d’une à deux heures après la blessure ». En fait, le rôle 1 est plus un concept qu’un local. « C’est l’endroit où vous savez que vous pouvez trouver au moins un médecin, avec tout son matériel médical, son équipe, et où vous pouvez vous faire soigner ». Cela peut être une tente, comme un véhicule, plus rarement un bâtiment. Le rôle 1 est mobile pour permettre de s’organiser et de s’adapter au mieux en situation d’exception. « Son but est de gagner du temps et donc des chances de survie, à chaque moment de la prise en charge, pour apporter le blessé au chirurgien qui in fine va définitivement lui sauver la vie ».
Le rôle 2 correspond à l’hôpital de campagne, où vont intervenir les chirurgiens, avec des appellations différentes en fonction de l’équipe qui lui est attribuée : hôpital médico-chirurgical (HMC), antenne chirurgicale de l’avant (ACA), ou encore antenne chirurgicale parachutiste (ACP). « Ces rôles 2 comprennent un chirurgien »du mou » pour la chirurgie viscérale, un chirurgien »du dur » pour l’orthopédie et un anesthésiste ». Un chirurgien maxillo-facial et un infirmier peuvent venir renforcer l’équipe, une capacité de biologie et d’imagerie peut aussi y être associée. Leur but est de sauver la vie du patient, c’est une chirurgie de guerre, salvatrice, sans pour autant réaliser des soins et des traitements définitifs, ceux-ci se feront ultérieurement après le rapatriement. Le rôle 2 se trouve bien souvent sous tente, comme on a pu le voir en Alsace au moment du Covid au printemps 2020, mais il peut être en dur comme à Gao au Mali. Le chirurgien ne se déplaçant pas, il est prévu que l’hélicoptère puisse faire l’aller-retour, entre la zone de la blessure et le rôle 2, en moins de deux heures. Dès lors, si les chefs militaires envisagent des missions dans un périmètre qui dépasse ce temps de vol, le médecin-chef qui travaille en étroite collaboration avec les concepteurs des opérations se doit de les conseiller sur les risques encourus.
Vient ensuite le rôle 3, celui-ci ne peut être installé que dans des bâtiments, le dernier construit par la France, est celui de Kaboul. Le rôle 3 est réservé à la chirurgie complémentaire. Actuellement, cette étape n’est plus systématique. Bien souvent le patient part directement du rôle 2 au rôle 4 qui correspond au rapatriement dans un hôpital (HIA) en métropole, « le rôle 3 devient indispensable lorsque les risques sont démultipliés sur le terrain et qu’il faut lisser les évacuations vers la France. Il convient de noter que le dispositif actuel ainsi décrit doit demeurer réversible et totalement adaptable à la situation ». Et le médecin chef Adrien d’indiquer « que la plupart, pour ne pas dire la totalité des blessés en opération passe par l’hôpital Percy ». En effet, le blessé qui est rapatrié arrive à Villacoublay, où une section de ramassage vient le récupérer au pied de l’avion pour le conduire à l’hôpital Percy. Là, il sera pris en charge avant d’être éventuellement orienté sur un autre hôpital militaire. L’objectif étant de rapatrier les blessés « alpha » qui sont les plus graves, en moins de 24h sur le territoire français. C’est un objectif qui est tenu par le SSA depuis le conflit en Afghanistan. Ainsi, « vous pouvez être au fond de l’Afghanistan ou du Mali, si vous êtes blessé, vous avez l’assurance qu’en 24h tout est fait pour vous prendre en charge sur le terrain, vous stabiliser, et vous transporter dans un hôpital en France. Nous sommes la seule armée européenne à savoir et pouvoir le faire de bout en bout ».
Comme pour les militaires combattants, les médecins assurent des missions de 4 à 6 mois soit sur désignation soit sur volontariat. Pour bien comprendre la blessure militaire, écoutons le médecin-chef Adrien évoquer ses expériences : « Quand on est en opération, on est à côté des combattants, on vit la même chose qu’eux, on participe aux actions militaires, mais aussi à la vie du camp avec des gardes, et parfois à sa défense. L’idéal c’est de pouvoir partir avec son régiment, car on connaît alors bien les militaires avec lesquels on vit et travaille. On les a suivi en métropole, sur le terrain, et on les suivra encore au retour en France. En cas de prise à partie, il n’y a plus de grade, seulement des hommes, et c’est là toute la beauté du métier de médecin, de se dire que si je n’y suis pas, il n’y a personne. C’est grisant car, on est le seul médecin à plusieurs kilomètres à la ronde et tout repose sur nous. Il faut avoir en permanence conscience du risque, et on s’y prépare tout en préparant son matériel, son véhicule, en s’assurant qu’il n’y ait pas de mine etc… Quand on est médecin de l’avant, on vit le combat, on peut même être amené à y participer. Ce sont des situations d’exception avec la chaleur, le sable, les roquettes, le bruit du VAB (véhicule de l’avant blindé). Le médecin suit la compagnie, partage les poussées d’adrénaline, la peur des blessés, la mort, car le médecin est une vraie cible stratégique pour l’ennemi, et les personnels soignants paient un lourd tribu en opération. Lorsqu’un soldat français est touché, toutes les personnes autour se montrent disponibles, car on se projette, et il y a un certain affect. Et lorsqu’on soigne un prisonnier ennemi ou un blessé civil, on se dit aussi qu’on a rempli sa mission de médecin. La prise de conscience de tous ces sentiments contradictoires est importante, car on se trouve à la fois avec des blessés français et des non français. Mais l’objectif pour un médecin c’est d’en sauver le plus grand nombre. Pour cela on prépare une stratégie : un plan est conçu à l’avance, qui va déterminer le principe de triage des blessés. Sur le moment on ne pense plus à ce tri, car on sait que le respect de ce plan qu’on a longuement préparé en fonction des moyens à notre disposition permet de sauver le plus grand nombre de manière éthique et de poursuivre la mission».
2°- L’Institution Nationale des Invalides (INI)51
Si pour les touristes, les Invalides, c’est le dôme doré ; pour les artistes, c’est Hardoin Mansart ; pour les historiens c’est le dôme de Saint-Louis, pour le personnel soignant ce sont des destins atypiques où l’intensité de vie émeut et pour les blessés, c’est une vraie épaule sur laquelle on peut s’appuyer52. Trois siècles après sa création, l’Institution Nationale des Invalides, se présente toujours comme la « maison des invalides »,et demeure fidèle à sa vocation initiale. Louis XIV décida par l’ordonnance de 1670 et l’édit d’avril 1674 de faire construire : « un hostel royal pour y loger tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caducs » qui a accueilli en son temps près de 6000 pensionnaires. Aujourd’hui, établissement médical d’excellence spécialisé dans la prise en charge « des séquelles du grand handicap », l’Institution est unique en son genre : au service du monde combattant, elle est également ouverte au public, et plus qu’un hôpital, elle est aussi un lieu de mémoire, le symbole du devoir de réparation. « Accueillir des soldats dans Paris, c’est la gratitude de l’État… »53.




@ Richard Lechevallier
Érigé en établissement public à caractère administratif (EPA) et placé sous la tutelle du ministère de la Défense et des Anciens Combattants depuis la loi du 3 juillet 1991, qui réaffirme et conforte ses missions historiques, l’INI est composée de trois services complémentaires. Tout d’abord, Le Centre des Pensionnaires, « noyau historique de l’institution », il est destiné aux grands invalides titulaires d’une pension militaire d’invalidité selon les conditions fixées par le décret N° 92-105 du 30 janvier 1992, notamment au titre des articles L.36 pour la blessure de guerre ou L. 37 pour la blessure en service. À la fois lieu de vie et service hospitalier, il peut accueillir environ 80 pensionnaires, résidents temporaires ou définitifs, « on a des compagnons de la libération […], des blessés de la guerre d’Indochine, des blessés de la guerre d’Algérie, des blessés d’accidents de services, des soldats blessés pendant les dernières opérations… »54, leur assurant in situ une prise en charge médicale, et un accompagnement paramédical quotidien et personnalisé. Sur site ou à l’extérieur, et en lien notamment avec Le Foyer des Invalides, ou le Cercle sportif de l’INI (CSINI), des activités et des animations adaptées aux pensionnaires, viennent rythmer le quotidien tout en s’inscrivant dans un projet personnalisé de vie. « J’ai retrouvé ici ce que j’avais connu lorsque j’avais 18 ans, c’est -à-dire la fraternité…»55.
Le Centre médico-chirurgical(CMC) assure quant à lui en priorité les soins médicaux et chirurgicaux des pensionnaires, des anciens combattants et des militaires en activité mais aussi des blessés civils comme ceux des attentats de novembre 2015, dont un qui témoigne : « avant de venir, je ne savais même pas que cela existait […]. Ils sont hypers à l’écoute […]. On ne peut pas imaginer ce que c’est d’être amputé. Sans eux, on aurait craqué […]. Quand on parle avec eux, ils savent, ils imaginent très bien par quoi on est passé56 ». Spécialisé dans la prise en charge des blessures médullaires, amputations ou lésions cérébrales et neurologiques, le CMC dispose d’une capacité d’accueil, de près de 80 lits, répartis en trois services, « au-delà de la rééducation, il faut envisager la réinsertion, et il y a tout un projet de vie à reconstruire, à rebâtir. Les amener à rentrer chez eux, c’est l’objectif, et dans les meilleures conditions57 ». La structure comporte également un hôpital de jour, un service de chirurgie dentaire et un centre de consultations externes. De même, le centre d’études et de recherche sur l’appareillage des handicapés (CERAH) intégré à l’INI en 2010, a pour mission la recherche en matière de handicap moteur ; il s’est spécialisé dans le fauteuil roulant et l’appareillage pour l’aide à la marche.
Enfin, L’INI soutient le cercle sportif du même nom. Association de loi 1901, ce club handisport a été parmi les premiers, crée en 1966 pour que les militaires puissent trouver dans le sport un nouvel épanouissement. Aujourd’hui il accueille plus de 400 membres de toutes origines dans une dizaine de disciplines sportives différentes, et présente un palmarès riche.
B- Le parcours social
La solidarité réaffirmée dans le statut du militaire est un enjeu fort qui se trouve concrétisé grâce à l’investissement de structures dédiées comme des bureaux attitrés au sein des régiments (1°) ou de la gendarmerie (2°) les cellules d’aide aux blessés (3°), ou encore des fondations et associations (4°) pour n’en évoquer que quelques-uns, grâce aux témoignages d’acteurs impliqués dans leurs missions d’entre-aide.
1°- le bureau d’aide et soutien dans le régiment
Les armées veillent sur leurs militaires, sur leurs frères d’armes. Cette formule prend tout son sens, toute sa profondeur et sa vérité lorsqu’on vit cette solidarité au quotidien me confiait l’épouse d’un général « nous partageons les douleurs et les chagrins, bien plus que les joies ». Cette solidarité ne se limite pas à l’accompagnement du blessé, elle est aussi pour sa famille dans les situations graves comme dans le quotidien. En effet, les souffrances morales et les difficultés ménagères de l’épouse passent bien souvent inaperçues, mais elles n’en existent pas moins et des services ont été mis en place dans chaque régiment pour leur venir en aide.
C’est dans un de ces bureaux »d’environnement humain » que le blessé Ludovic s’est totalement reconstruit en apportant une aide discrète mais efficace « ce sont ces petites choses de la vie quotidienne qui paraissent si simples à gérer quand on est deux, mais qui deviennent difficiles lorsqu’on est seul… La voiture qui tombe en panne, le contrôle technique qui est dépassé, la bouteille de gaz à changer, le petit qui est malade ou cette maman qui tombe dans l’escalier et qui n’a absolument aucune famille sur place pour garder ses 4 enfants le temps de son hospitalisation aux urgences ». Ce bureau dispose d’un numéro vert qui peut être appelé 24h/24h, pour aider dans les démarches matérielles ou dans des situations exceptionnelles. Il assure aussi les communications avec les soldats en opérations, en acheminant des colis, en rassurant les parents inquiets, en diffusant des photos, en proposant des visio-conférences. « Ce bureau est aussi malheureusement celui qui va avec la gendarmerie, le maire, l’assistante sociale, le chef de corps, annoncer les décès ».
Le régiment joue donc un rôle fondamental dans l’accompagnement du blessé tant sur un plan pratique notamment dans les démarches administratives, que sur un plan moral et symbolique, comme l’a précisé Ludovic en narrant les visites régimentaires durant son hospitalisation. Le commandement de proximité assure dès lors la coordination des actions de soutien apportées par son régiment58.
2°– Le dispositif d’accompagnement de la gendarmerie59
Présenté par le colonel de gendarmerie Patrice Martinez, commandant en second de la formation administrative du Puy-de-Dôme, le dispositif d’accompagnement de la gendarmerie est triple, il offre un volet prévention (a), un volet traitement (b) et un volet post-événement (c). Ces trois volets sont sous la responsabilité de la direction des personnels militaires de la Gendarmerie (DPMG), et plus particulièrement la sous-direction d’accompagnement du personnel (SDAP) dont font partie les bureaux d’accompagnement des personnels (BAP), déployés sur le terrain au niveau des 22 régions de gendarmerie mais qui vont ne plus être que 13 à compter de 2022. Cependant sur les sites actuels comme Clermont-Ferrand qui ne seront plus de ressort régional, il restera néanmoins un bureau de proximité.
@ Christine Lechevallier
a)- Prévoir
Pour aborder le premier volet, le colonel précise que la prévention est un souci essentiel du commandement. Aussi, dès l’entrée et en école mais aussi une fois sur le terrain, il sensibilise et insiste sur la nécessaire mise en œuvre de dispositifs de prévoyance, que doivent souscrire les gendarmes dès lors qu’ils intègrent la gendarmerie. « Le métier de gendarme est un métier hors du commun de part les missions qu’il effectue et les risques et événements qu’il a à gérer. Le gendarme joue sa vie à partir du moment où il est en service, il est donc nécessaire qu’il se protège lui comme sa famille ». Force est de constater, après un événement particulier, que le gendarme n’a pas toujours pris les précautions suffisantes en matière de prévoyance, et sa famille se trouve alors fort embêtée « On s’aperçoit dans certaines situations que le gendarme a fait l’économie de souscrire l’assurance prévoyance en voulant économiser quelques euros par mois, et quand malheureusement arrive un drame, ces quelques euros économisés par mois font défaut ». Il est donc important de balayer régulièrement son contrat avec son courtier et éventuellement faire évoluer son contrat en fonction de sa situation professionnelle et familiale. De même, les offres de prévoyance à l’intérieur d’un contrat peuvent évoluer.
« On insiste beaucoup sur ce point de la prévention, car on est là dans un domaine qui ne relève pas de l’accessoire, mais de l’indispensable » quatre assurances sont référencées sur le site du ministère de la Défense60, au gendarme de les comparer pour faire un choix adapté à sa situation. Pourtant, si le gendarme est obligé de fournir une attestation locative de responsabilité civile, en revanche il n’est pas tenu de fournir l’attestation de prévoyance, comme dans les armées, où chaque militaire à l’obligation de souscription, au risque de ne pas pouvoir faire un déplacement à l’étranger, s’il ne est pas en conformité.
b)- Gérer
En ce qui concerne le traitement des événements, la gendarmerie se trouve elle aussi confrontée aux blessures physiques et psychiques. Elle porte une attention particulière à l’accompagnement des blessures psychologiques grâce à des actions pilotées par le niveau central et relayées au niveau local. Les situations vécues par un militaire, susceptibles de déclencher un traumatisme, sont nombreuses et diverses. « je ne vais pas en faire l’exégèse ici, mais elles peuvent aller d’une blessure en service, à la mort d’un camarade, des agressions verbales comme physique, une dépression… Il y a plusieurs types de blessures psychiques, mais on a tendance à les relativiser, à en endosser un certain nombre avant de prendre conscience de l’impact que cela peut avoir sur nous, et cela peut prendre parfois des années entre le moment de la survenance de l’événement et le moment où on réalise que cela à un impact. La psycho-clinicienne est là pour proposer ses services ». Ainsi par exemple dans le Puy-de-Dôme, elle assure des permanences et le gendarme peut venir de sa propre initiative la consulter, mais, elle peut aussi être sollicitée par le commandement, lorsqu’une situation particulière nécessite son intervention. Le colonel rappelle alors sa précieuse collaboration lors des événements dramatiques du 22 et 23 décembre 2020 de Saint-Just, « la psycho-clinicienne avec le soutien de psycho-cliniciens de régions voisines a mis sur pied un dispositif au plus près des gendarmes qui avaient vécu ces événements, pour proposer ses services, à savoir, au minimum une rencontre ». L’offre de service est systématique, mais n’est ni obligatoire, ni imposée. Le travail qui s’en suit est basé sur le volontariat. Pour Saint-Just, de nombreuses réunions in situ se sont tenues, pour dialoguer avec les personnels, pour recueillir leurs besoins, leurs attentes. « Cet accompagnement s’est adressé à tous les personnels sans exception, y compris ceux qui n’étaient pas directement sur l’événement, mais qui ont pu subir un traumatisme indirect. En effet, au-delà de la résidence d’Ambert d’autres sont intervenus et à ce titre ont bénéficié d’une prise en charge avec au minimum un entretien sur le plan médical, un entretien sur le plan psychique, un entretien sur le plan des ressources humaines » se rappelle le colonel.
Puis un accompagnement post-traumatique, qui s’inscrit dans le dispositif des armées dont peut bénéficier la gendarmerie, intervient deux mois en général après la survenance de l’événement. « Le médecin militaire accompagné, ou pas, de psychologues militaires réalise un certain nombre d’entretiens à destination de tous les gendarmes susceptibles de faire émerger un SPT. Un questionnaire complète ces échanges. L’idée c’est de balayer l’événement, de faire un point de situation, un état des lieux et d’évaluer les éventuels besoins ». Ces dispositifs offrent un intérêt en particulier lorsque les séquelles n’apparaissent que plusieurs années après, « celui de pouvoir à l’instant T, inscrire l’événement et la manière dont il a été vécu ». C’est toute l’utilité d’établir des inscriptions au registre des constatations (IRC) qui permettent de créer un lien entre l’événement et une éventuelle pathologie que le gendarme peut développer quelques années après. l’IRC, validée par le médecin militaire, reste dans le dossier du gendarme tout au long de sa carrière». « Autre point, et cela a été le cas pour le drame de Saint-Just, on va sur un plan humain, examiner la situation individuelle et en fonction de ce que la personne a vécu, de son ressenti, de ses attentes, lui proposer soit une mutation à l’endroit où il le souhaite, un changement de poste dans la même résidence ». Les blessés physiques bénéficient du même accompagnement par le psycho-clinicien et le médecin des armées, en parallèle des traitements médicaux et hospitaliers assurés par le service de santé des armées.
En complément, il existe aussi un certain nombre de garanties sur le plan juridique. Si un gendarme, à un moment donné dans l’exercice de ses fonctions, se trouve confronté à une personne qui va l’agresser ou le mettre en cause, parfois jusqu’au tribunal, il peut bénéficier d’une protection juridique. La gendarmerie en fonction de la situation va alors lui allouer une protection juridique et mettre à sa disposition un avocat. « C’est une protection fonctionnelle qui n’est pas automatique, mais à partir du moment où elle est demandée par le gendarme victime, elle fait l’objet d’une étude en opportunité par la direction générale, qui accorde ou pas la protection fonctionnelle ».
De plus, il est fortement conseillé au gendarme victime y compris d’agression verbale de déposer plainte. Il s’agit d’avoir une cartographie, la plus complète possible, des agressions subis par les forces de l’ordre et le meilleur témoin de cette évolution des agressions demeure la plainte, qui permet d’avoir une trace judiciaire. Et le colonel d’ajouter « Ces agressions sont particulièrement significatives, notamment en dehors des heures ouvrables, où on reste la personne dépositaire de l’autorité publique qui cristallise un certain nombre de mécontentements, et en cette période de pandémie, il est constaté une augmentation des interventions pour des actes de violences ».
c)- Accompagner


@ Christine Lechevallier
L’accompagnement post événement peut prendre différentes formes. Tout d’abord, une aide à la reconversion pour les blessés qui présentent des séquelles psychiques ou physiques allant parfois jusqu’au handicap. Une mission handicap, rattachée à la DPMGN, a tout nouvellement été créée. Elle a notamment vocation à étudier les situations de gendarmes en incapacité de travailler, et à leur faire des propositions de réinsertion. « J’ai un exemple en tête » commente le colonel « celui d’un gendarme victime d’un grave problème de santé avec des séquelles assez importantes, en termes de motricité. Il n’était plus en capacité d’exercer son métier de gendarme et on a réussi à le faire changer de statut. Il est maintenant personnel civil avec un statut de travailleur handicapé et toujours en gendarmerie ». Cette solution a été possible grâce à une réflexion conduite au plan local : « il a fallu concrètement mettre à disposition un poste qui n’existait pas dans le cadre de l’organisation actuelle, et au niveau des ressources humaines travailler sur le changement de statut pour le rattacher au statut de civil d’une part et de personnel en situation de handicap d’autre part ». Il est également possible de reclasser un gendarme travaillant en unité opérationnelle, dans des unités d’environnement, où il sera moins exposé, où il pourra ainsi continuer à travailler malgré une certaine inaptitude. Ces reclassements sont essentiels dans la vie du gendarme, car ils permettent de ne pas le laisser au dépourvu.
Ce dispositif récent vient compléter les dispositifs existants, à savoir, le déclenchement du dispositif médical qui consiste à le faire examiner par une commission régionale de santé (CRS). Il est alors demandé à la commission de se prononcer sur l’aptitude du gendarme blessé à pouvoir servir en gendarmerie par dérogation, c’est à dire servir malgré sa blessure. La commission avec l’avis médical étudie le dossier sur pièces, mais peut éventuellement entendre le blessé, si ce dernier souhaite participer au débat, ce qu’il a le droit de faire. La CRS rend son avis au commandement, a qui revient la décision finale.
Si toutefois cette action ne suffit pas, le bureau local d’accompagnement des personnels va s’orienter vers des recherches de repositionnement comme dans l’exemple précité ou faire appel dans le cadre du reclassement à une cellule particulière, la cellule d’orientation et de reconversion (COR). Cette cellule va travailler à trouver des solutions de reclassement soit dans d’autres administrations, soit dans le secteur privé en l’aidant à valoriser son expérience professionnelle, et en le mettant en contact avec les employeurs. Chaque année, une journée de rencontre »employeur-futur retraité d’arme » est organisée. Le colonel poursuit « On a aussi des stages ou des formations qui sont proposés à celui qui souhaite se reconvertir, acquérir en dehors de son expertise de gendarme des compétences nouvelles qui lui permettront de s’exporter dans d’autres domaines ». Enfin, des actions de reconstruction par le sport, dont les Invictus Games, sont proposées aux blessés, « nous travaillons avec les armées et nous bénéficions de ces mêmes dispositifs en la matière ».
L’aspect chancellerie tient ensuite une place importante dans les démarches d’accompagnement et de reconstruction. En effet, en fonction des événements que le gendarme a vécus, de la manière dont il a participé aux événements, un certain nombre d’actions méritant récompenses et décorations vont être relevées, lui portant alors la reconnaissance de ses pairs, de la gendarmerie et de la nation. Ainsi, comme pour les armées, un certain nombre de récompenses et décorations peuvent être accordées. « C’est notamment le cas pour Saint-Just, après la première phase de remise de décoration à titre posthume, une cérémonie de décoration à l’endroit de ceux qui se sont d’une manière ou d’une autre illustrés pendant les événements, s’est déroulée, sous la présidence du major général de gendarmerie ». Tout ce panel de récompense vise à témoigner de la reconnaissance et de l’attachement à l’égard de ceux qui se sont comportés de manière digne, voir héroïque à l’occasion de ces événements. « Cette reconnaissance permet de dire que malgré les décès et les blessés, l’action a sans doute évité d’autres drames qui auraient pu survenir si l’individu n’avait pas été maîtrisé ».
Enfin, l’accompagnement des familles géré par la sous-direction de l’accompagnement du personnel (SDAP), est assuré par un bureau (le BAP) dédié à cette mission au niveau régional. La responsable Auvergne, pour le cas de Saint-Just a fait un énorme travail et continue encore aujourd’hui son soutien aux familles. Elle joue un rôle crucial dans l’accompagnement de proximité en lien étroit avec l’assistante sociale. Le colonel précise à ce propos que « chaque famille de gendarme décédé a bénéficié, chacune, d’une assistante sociale. Bien qu’elles soient inter-armes, certaines travaillent en temps normal uniquement pour la gendarmerie, mais à cette occasion, comme elles n’étaient pas suffisamment nombreuses, ce sont des assistantes des armées qui sont venues en complément, pour travailler à leur côté, à la prise en charge des déplacements des familles pour l’enterrement, la prise en charge des obsèques, puis plus tard pour les démarches administratives, la recherche d’un nouveau logement, le déménagement ». En effet, le gendarme bénéficie d’un logement qui lui est concédé en contre-partie de sa disponibilité et qui sera repris par son successeur. Toutefois, il est mis en place des dispositifs de sursis à évacuation qui permettent au conjoint de prendre le temps de se retourner « car, on ne va pas rajouter du tracas à la douleur, on essaie d’accompagner au maximum, c’est ce qui fait notre force. L’accompagnement est institutionnel mais aussi personnel, car on se sent touché personnellement pour des multiples raisons, parce que ce sont des gens qu’on a côtoyés dans le cadre du service, touché parce qu’on se dit que cela peut être nous, notre famille qui peut être confrontée à une même situation, et donc forcément la solidarité, la cohésion va jouer. La communauté gendarmerie fait bloc. Je ne vous dis pas le nombre de messages de soutien que nous avons reçu à l’occasion du drame de Saint-Just, de la France entière, c’est incroyable ».
Par ailleurs, à l’échelon central, il y a aussi une cagnotte qui a été mise en place dont le résultat s’est élevé à plusieurs milliers d’euros et qui a été réparti entre les ayants droits. Les cagnottes ont un caractère officiel, puisqu’elles sont relayées par la fondation de la gendarmerie qui gèrent les cagnottes ouvertes à l’occasion de blessures graves ou décès. Ainsi une cagnotte a été ouverte à l’occasion de l’accident de service du réserviste opérationnel Yohan, percuté volontairement par un véhicule conduit par des mineurs, et qui aujourd’hui souffre encore de ses blessures et doit subir de nouvelles interventions chirurgicales. Au-delà de l’accompagnement habituel déjà évoqué, il bénéficie de cette aide matérielle pour ses hospitalisations, sa rééducation qui sont lourdes à gérer.
En outre, lorsque le gendarme est mort pour la nation, ses enfants deviennent pupilles de la nation et cela leur permet d’être éligible à des bourses, ou à certains établissements scolaires. Le colonel cite également la remise de colis à chaque veuve de plus de 75 ans. « Ce colis est une manière d’apporter une attention particulière à ceux qui ont fait partie de la famille gendarmerie et qui reste encore de cette famille. Elles sont invitées aux cérémonies, en particulier celles de la Sainte-Geneviève. C’est l’occasion de leur témoigner l’attachement de la gendarmerie et la reconnaissance pour tous les sacrifices consentis par leur mari. C’est aussi une manière de faire vivre cette communauté à travers le temps ». Ce sont autant de dispositifs qui viennent enrichir le panel d’action d’entraide et de solidarité et qui démontre que la gendarmerie est bien au rendez-vous de la prise en charge de ses blessés, en lien évidemment avec les armées, « mais en ayant également développé ses réponses intermédiaires et spécifiques parce que le métier de gendarme est spécifique, et ce afin d’essayer de se caler au plus près des attentes des personnels et de leur famille.
L’accompagnement tel qu’il est décrit n’est pas seulement prévu et déployé sur le papier, mais vécu au quotidien. A chaque événement dramatique il fait l’objet de retour d’expérience, de débriefing. « C’est un dispositif qui évolue, qui s’enrichit, qui vit des expériences passées, et on le fait évoluer en fonction des situations. Chaque situation est différente l’une de l’autre et nécessite de s’adapter. Globalement c’est une machine bien structurée, bien rodée, même si parfois il subsiste quelques lenteurs dans les démarches administratives ». Elle est réactive et s’inscrit dans cette notion de solidarité que l’on retrouve également très ancrée dans les armées. « Cette solidarité est très forte, elle perdure, elle se transmet du réserviste au retraité, du jeune gendarme adjoint jusqu’au général ».
3°- Les cellules d’aide aux blessés61
Les Cellules d’aide des forces armées, la Cellule d’aide aux blessés de l’armée de Terre (CABAT), la Cellule d’aide aux blessés et d’assistance aux familles de la Marine (CABAM), la Cellule d’aide aux blessés, malades et familles de l’armée de l’Air (CABMF air), la Cellule d’aide aux blessés et malades du Service de santé des armées (CABMSSA) et Cellule d’aide aux blessés de la gendarmerie nationale (CABGN)) sont des acteurs incontournables et œuvrent en fonction des besoins principaux identifiés. Elles vont « porter assistance à tout militaire blessé ou malade par le fait ou à l’occasion du service, de son hospitalisation à sa réinsertion dans l’institution militaire ou lors de sa reconversion dans le secteur civil. Elles prodiguent écoute, assistance, conseil et accompagnement, par des actions individualisées intégrant des composantes sociales, administratives, professionnelles ou sportives »62.
Le besoin d’un accompagnement s’est fait ressentir en premier dans l’armée de terre qui recense un grand nombre de blessés en particulier après la guerre du golfe et Sarajevo. La CABAT a ainsi été créée en 1993. Placée sous le commandement du gouverneur militaire de Paris. C’est un organisme spécifique qui intervient au niveau national pour assurer non seulement, un accompagnement au blessé et à sa famille, (par l’organisation de visites des proches aux hospitalisés ou une aide aux déplacements et à l’hébergement), mais aussi pour répondre aux difficultés matérielles en particulier dans l’assistance des démarches administratives, et faciliter les démarches de réinsertion soit au sein de l’institut militaire pour 75% d’entre eux, soit en reconversion63.
La cellule d’aide est une structure opérationnelle qui doit être réactive tout en personnalisant l’intervention « J’avais un référent de la CABAT qui a suivi mon parcours depuis le jour de mon accident jusqu’à la reprise de mon travail, et même après, puisque ce sont eux qui m’ont proposé les stages de sport au CNSD. Ce sont eux aussi qui nous donnent les clés pour les formalités, ils nous aident à monter les dossiers administratifs. Au niveau social, ils m’ont aiguillé, mais j’ai eu la chance de ne pas avoir de grands besoins en comparaison à d’autres blessés »64. Elle se trouve confrontée à l’urgence, à des situations dramatiques, à de fortes pressions qu’elle doit gérer afin de toujours apporter des réponses fiables, pertinentes. Les référents doivent gérer leurs émotions et trouver un équilibre entre empathie et distance. « Le suivi apporté est conséquent, et se double d’un gros investissement du référent auprès de ‘son blessé’. Aujourd’hui, je suis encore en contact avec mon premier référent et certains de ses successeurs. Ils ne restent pas définitivement à la CABAT, c’est très très prenant au niveau psychologique»65.
Forte d’un effectif de 29 personnes66 pouvant intervenir dans l’action juridique, sociale et psychologique, la réinsertion ou la reconversion, la CABAT a aussi un rôle moteur dans l’organisation d’activités sportives interarmées et le suivi psychologique des blessés. Elle recense 940 accompagnements67. La cellule de l’armée de l’air, créée en 2007, a suivi environ 500 dossiers. Celle de la marine, quant à elle, créée en 2011, a accompagné 450 marins. Enfin la CABGN, créée en 2015 avec une organisation déconcentrée, s’est occupée, sur les 6 premiers mois de l’année 2019 de 2736 gendarmes blessés dont 1544 en mission et 2 tués68. A noter que les chiffres indiqués ne correspondent pas forcément à des événements survenus dans l’année mais aux nombres de « dossiers vivants » ; certains, qu’elles peuvent suivre sur de longues périodes.
Par ailleurs, la CABAT a initié en 2013 le dispositif « OMEGA » en partenariat avec le Mouvement des entreprises France (MEDEF) 69. Il permet de proposer aux militaires blessés des stages d’immersion en entreprise, en adéquation avec leurs attentes, afin qu’ils retrouvent confiance en eux, se réapproprient un rythme de travail, découvrent un nouveau métier ou confortent un projet professionnel. Cette formation de un mois à un an pourra être prise en charge par « Défense mobilité », mais le militaire blessé n’est alors pas considéré comme un salarié, il reste rémunéré par le ministère des Armées. Le stage peut déboucher sur une embauche.
Malgré quelques différences d’organisation et de périmètre, les actions menées par les cellules d’aides aux blessés sont similaires. Chacune garantit au blessé un lien privilégié avec son institution de référence, identifie les besoins et coordonne les actions à mener et assure un suivi qui s’inscrit dans la durée. De plus en plus, elles proposent des stages sportifs de reconstruction. Une mutualisation d’une partie des fonctions de back-office, avec un regroupement aux Invalides a été évoqué lors du premier rapport de l’Assemblée Nationale.
4°- Des fondations et des associations
Un réseau de solidarité et de proximité en complément des dispositifs institutionnels apporte un soutien aux militaires blessés, en activité ou en retraite, et à leur famille. Parmi ces associations d’entraide on peut mentionner la fédération nationale André Maginot, l’association « les ailes brisées » ou encore la fondation « des gueules cassées ».C’est cette dernière qui sera évoquée ici, par la voix de Ludovic70 qui a précédemment témoigné de son parcours de blessé et qui aujourd’hui, lui apporte son concours.

Plus connue sous le nom « Les Gueules Cassées », l’Union des Blessés de la Face et de la Tête (UBFT) est tout à la fois une fondation et une association.Reconnue d’utilité publique le 11 avril 2001, la fondation qui est la plus récente, a pour but le soutien aux institutions de toute nature s’intéressant en priorité aux traumatismes de la face et de la tête, et pathologies s’accompagnant de séquelles fonctionnelles d’origine traumatique ou dégénérative. Elle va agir en donnant des bourses à des médecins pour la recherche maxillo-faciale, la reconstruction de l’œsophage, l’implantation de peau, de greffe de l’œil. « Ce sont des bourses non négligeables qui peuvent atteindre 200 000 euros. La Fondation des Gueules Cassées est d’un apport important pour ce type de recherche auquel peu d’autres mécènes s’intéressent ». Elle a, à ce titre, reçu la Médaille d’Or de l’Académie de Médecine 201271.
@/http://www.gueules-cassees.asso.fr/la-bd-_r_194_a_145.htm
L’Association, quant à elle, plus ancienne est née le 21 juin 1921 de la volonté de trois blessés de la face pour venir en aide à leurs camarades blessés au visage, défigurés, abandonnés de tous et sans ressources. En effet, les poilus de la première guerre mondiale, venaient essentiellement du monde rural et paysan, « et de retour chez eux, les blessés de la face, parce qu’ils revenaient avec leurs bras et leurs jambes valides, n’étaient pas considérés comme handicapés, mais aptes au travail des champs. Ils vivaient alors pour beaucoup cachés dans les fermes où ils mouraient, soit des suites de leurs blessures soit de peine et d’oubli, sans avoir bénéficié d’aucune forme de reconnaissance ni d’indemnisation». L’association a ainsi commencé à accueillir ces blessés de la tête et du visage dans une grande propriété à Moussy-le-Vieux. Ils y venaient en convalescence après les interventions chirurgicales, ou pour y vivre, s’occupant à exploiter leurs terres pour nourrir les pensionnaires72. La seconde guerre mondiale a drainé, à son tour, un très grand nombre de blessés vers l’association pour solliciter une aide. Afin de couvrir les lourdes charges liées à ces aides sociales, les fondateurs ont au départ multiplié les galas de bienfaisance, puis proposé la souscription de « La Dette » avant de créer avec l’État la Loterie Nationale, et de lancer le fameux « Dixième », offrant des lots extraordinaires comme un avion de tourisme. En 1975, les gueules cassées promeuvent le loto dont ils céderont quinze ans plus tard une partie de leurs actions, ramenant leur part à près de 10% du capital de la Française des Jeux73. « Aujourd’hui, l’Association tire l’essentiel de ses ressources de son actionnariat dans La Française des Jeux dont elle est le second actionnaire, après l’Etat ».
La blessure au visage est la condition sine qua nun pour intégrer l’association rappelle le délégué « quelqu’un qui a un membre cassé ne peut pas. Il faut vraiment avoir une blessure à la tête. Les militaires, les douaniers, les pompiers, les policiers, les gendarmes, la sécurité civile les blessés des attentats et actes de terrorisme blessés au visage peuvent bénéficier du soutien de l’association. Aujourd’hui on a beaucoup de policiers, gendarmes, beaucoup de CRS qui ont été blessés à coup de matraques, de pavés, qui ont une mâchoire cassée. Dernièrement, j’ai été contacté pour deux accidents de service : un gendarme qui a eu la mâchoire fracturée dans un accrochage avec des gitans. Un douanier, en contrôlant un camion, a été touché à la tête et aux vertèbres cervicales par une caisse à outils qui lui est tombée dessus. Il a besoin d’un corset, les gueules cassées vont participer au financement. La blessure post-traumatique est également considérée comme une blessure de la tête. Pour être admis aux Gueules Cassées en tant que SPT, il faut être reconnu par l’institut médical militaire et avoir un pourcentage d’invalidité. Ils sont environ 400 sur 1500 blessés. Le fait d’informer la police, la gendarmerie, d’aller dans les commissariats et de leur dire qu’ils peuvent adhérer est important car la majorité ne connaît pas l’existence et le rôle des Gueules Cassées. Aujourd’hui mon rôle est d’être au plus près du terrain, pour offrir un véritable accompagnement ».
Les Gueules Cassées apportent aujourd’hui, dans un esprit de fraternité et d’entraide, une assistance morale et matérielle aux militaires blessés au combat74, et au délégué auvergnat d’illustrer cette activité par des exemples très variés. « L’association va acheter des chiens d’aveugles qui seront préparés dans des centres spécialisés, sachant qu’il faut 4 ans pour éduquer un chien au guidage, et qu’il coûte 40 à 45 mille euros. On va en acheter 5 à 6 par an pour distribuer à des blessés sur l’ensemble du territoire ». Les aides financières représentent une part importante des interventions de l’association. « Il s’agit d’aides aux veuves, d’aides aux membres de la famille telles des bourses d’études pour les enfants, mais surtout une aide pour les personnes en maison de retraite avec des petits revenus, en complément des aides au logement, lorsque ces personnes ont épuisé toutes leurs possibilités de financements personnelles. L’aide peut être aussi une aide à des travaux d’amélioration de l’habitat afin de privilégier le maintien à domicile. Dans notre région cela concerne essentiellement l’isolation, l’accessibilité des sanitaires, le monte-escalier. Il est important que notre bénéficiaire puisse demeurer le plus longtemps à la maison, surtout s’il est en couple ».
L’association peut de même accompagner la reconversion, comme, par exemple, cet infirmier de l’armée, qui a trouvé un emploi dans un cabinet libéral. Mais il n’a pas les moyens pour s’associer et lancer son entreprise, ni pour investir dans une voiture équipée pour ses tournées sur les routes de montagne, ni pour acheter l’ordinateur et l’IPAD pour gérer sa comptabilité et ses rendez-vous. Là encore les Gueules Cassées vont soutenir son installation. L’association apporte même son concours à la publication de livres et ouvrages. Un pompier a écrit un livre sur ces états de services et les grands feux ; un militaire de la région a témoigné de son SPT, « de son détachement de la société, ses moments de stress, les sueurs, les réminiscences, les cauchemars ». Après les aides personnelles, l’association soutient les associations comme le Souvenir Français pour la restauration des monuments aux morts, sans se substituer à lui ou aux mairies. Le cercle sportif de l’INI qui organise chaque année à Porquerolles des stages de plongées, profite également de la piscine de la propriété du Var où les moniteurs de sport entraînent les blessés avant de plonger dans les calanques».
Si les Gueules Cassées renvoient à la première guerre mondiale, aux anciens avec un visage déformé aujourd’hui Ludovic montre des photos d’un ami qui a eu « la mâchoire totalement défoncée, il a maintenant des dents en céramique, un palais en corail, mais rien ne transparaît si ce n’est une légère cicatrice qui ressemble à une coupure de rasoir. La chirurgie esthétique a fait de réels progrès. L’association est fière de pouvoir y contribuer ».
III- Blessure, handicap et sport
Les forces armées prennent en charges les blessés et les accompagnent dans leurs soins et leur reconstruction physique ou morale pour, idéalement, un retour à la vie d’antan. Cependant, les blessures peuvent laisser des séquelles invalidantes, aussi, mobilisent-elles leur réseau « handicap », pour d’une part compenser le handicap et d’autre part « restaurer la capacité du blessé à contribuer à la vie collective75 ». Le Centre National des Sports de la Défense (B) s’est mobilisé pour proposer des activités sportives adaptées comme un des premiers vecteurs de reconstruction dans le parcours du blessé (A).
A- Le parcours du blessé et le sport
Il n’est pas toujours aisé de se raconter, mais l’exercice devient encore plus difficile lorsqu’il s’agit de faire revivre les épreuves traversées. Le récit de ces combats contre la blessure et pour la vie, démontre que la résilience par le sport est réellement possible.
1°- Le sport, un facteur de reconstruction
Le sport tient une place essentielle dans la vie d’un militaire, qui doit se maintenir en condition physique pour demeurer opérationnel « le soldat a un rythme d’entraînement équivalent à celui d’un athlète »76 Ainsi, ce dépassement de soi lié à la condition de militaire va être un atout pour surmonter les obstacles de la blessure et du handicap. La reconstruction physique et morale du blessé peut alors passer par une dimension sportive. En effet, Le sport est un outil majeur qui au-delà de la fonction rééducatrice, joue un rôle de réadaptation sociale. Il a été constaté qu’une reprise rapide de l’activité sportive, dès lors que celle-ci est adaptée, facilite et optimise la rééducation du blessé et sa réinsertion. Dans ce contexte, l’intégration du sport dans le parcours de soins du blessé dès l’hôpital tend à se développer, en particulier à l’HIA Percy où des modules de reprise précoce du sport sont mis en place depuis 2015, et avec eux le développement de structures sportives adaptées 77.
Le ministère des Armées propose, soit au sein de l’institution militaire, soit avec des fédérations sportives agréées, des activités sportives adaptées à la situation physique dans le cadre de stages labellisés au titre de la reconstruction par le sport78. Ces stages interarmées qui prennent en compte les besoins particuliers des blessés physiques et psychiques, contribuent à la réadaptation sociale par la dimension collective. Leur organisation est assurée par le Centre national des sports de la défense (CNSD), le Cercle sportif de l’Institution nationale des invalides (CSINI) ou les cellules d’aide aux blessés comme la CABAT. La Fédération des clubs de la défense (FCD) organise des compétitions, des rassemblements, des challenges régionaux ou nationaux. Par ailleurs, chaque année, depuis 2012, les « Rencontres militaires blessures et sport » (RMBS), réunissent à Bourges, les militaires blessés (toutes armées confondues) autour d’activités sportives pluridisciplinaires pour faire (re)découvrir aux blessés la pratique d’activités sportives adaptées à leur pathologie et de leur permettre d’échanger, dans un contexte différent 79.
De même de nombreux stages et manifestations sportives sont organisées par les différentes armées80. On peut citer le stage « Ad refectio-blessés et famille » organisé deux fois par an sur dix jours par la gendarmerie, qui propose à ses blessés et à leur famille de sortir de leur isolement en créant aux travers des rencontres de l’émulation entre blessés. 160 gendarmes ont ainsi été accueillis en six stages81. Le dispositif spécifique des « phénix » permet également aux blessés de la gendarmerie de « re-naître » après un traumatisme grave et avec le soutien d’équipes, de se dépasser pour s’impliquer dans des challenges interarmées comme « ad victoriam » ou internationaux comme « invictus games ». Avec le Cercle sportif de l’Institution nationale des invalides (CSINI) « le Raid du cercle », les stages « paraski » et « voile et vent » sont aussi au programme. Le stage « sport, mer et blessure » organisé par la marine, propose « du surf pour retrouver l’équilibre et la confiance en soi, de la pirogue pour la cohésion de groupe et du sauvetage en mer pour l’entraide et prouver sa capacité à aider les autres malgré le handicap »82.
Grâce à ces rencontres, les blessés redonnent du sens à leur vie, retrouvent le goût de l’effort, découvrent des sports adaptés à leur handicap, et ainsi peuvent établir une nouvelle relation corporelle avec eux-mêmes. Les activités handisports s’inscrivent donc dans la continuité des parcours de santé et de réinsertion. Si l’activité sportive est un facteur positif de reconstruction, et peut à cet égard s’adresser à un grand nombre de blessés ; la compétition, en revanche, ne peut être proposée qu’à une minorité. Elle va alors dépendre d’un avis médical qui intégrera la dimension psychologique83 et la capacité du compétiteur à accepter la souffrance et la contre-performance.
2°-De belles réussites de reconstruction par le sport
Philippe (a), Jamel (b), Guillaume (c), Frédéric et Thomas (d) ont accepté de témoigner de l’importance du sport dans les parcours de rééducation physique et de reconstruction morale.
a)- Philippe et les « Wounded Warriors Trials «
Philippe a bien voulu apporter son témoignage et confier son expérience 84. Sorti du circuit hospitalier en 2011, il a découvert les RMBS, qui en étaient encore qu’à leur début, suite à une invitation de la cellule d’aide aux blessés et là il a redécouvert le sport. Il a retrouvé des blessés connus en milieux hospitaliers à Percy, ou lors des cérémonies. « C’était assez familial, assez sympa, beaucoup d’activités étaient proposées » dit-il, mais aucun projet ne se dessinait. Puis un jour son prothésiste lui propose d’essayer une prothèse pour courir. « J’ai commencé à trottiner, puis à courir et j’ai été invité aux « Wounded Warriors Trials », aux USA. Les Warriors sont les premiers événements créés à l’attention des blessés militaires. Ils ne constituent pas une compétition au sens strict du terme, mais plutôt une rencontre sportive, où des coachs encadrent pendant deux semaines les entraînements et à la fin pour chacune des disciplines expérimentées, les sportifs se mesurent entre eux dans un esprit de camaraderie. « Il y a vraiment une cohésion, une émulation autour de ces jeux ».



@ Christine Lechevallier
Il a ensuite participé à de petits événements, des rencontres organisées par les cellules d’aides aux blessés et les moniteurs du CNSD ; il a obtenu des petits résultats, avant de gagner des challenges, et de participer aux championnats d’Europe d’athlétisme en 2013 à Warendorf en Allemagne et en 2014, aux premiers Invictus Games à Londres. « C’était un show énorme, avec une saveur particulière, quelque chose d’exceptionnel ». C’était sa première expérience et il s’est pris au jeu. Cette perspective de sportif de compétition a fait son chemin et il s’est alors entraîné très sérieusement en club, respectant un régime strict comme doit le faire un athlète de haut niveau, se préparant assidûment pour les mondiaux militaires de 2016 en Corée. « En fait ça c’est fait progressivement, je n’y suis pas arrivé du jour au lendemain ; c’est très contraignant. Mais, s’entraîner tous les jours est aussi un véritable investissement. Je ne suis pas un enfant de l’athlétisme, j’étais plutôt nageur et j’ai découvert l’athlétisme par hasard. Avec le handicap, je ne retrouvais pas les sensations dans la piscine, j’étais plutôt déprimé, et j’ai voulu passer à autre chose. J’ai alors attaqué l’athlétisme de zéro, j’ai découvert des sensations nouvelles, je n’avais pas de référence, pas de chrono, du coup au niveau psychologique ce fut plus simple ».
Et lorsqu’on demande à Philippe s’il éprouve des regrets, en particulier au regard de son activité de maître chien, il répond avec sérénité « Regretter…. On ne peut pas vraiment regretter, il faut être pragmatique ! Maître-chien, c’est une spécialité opérationnelle et avec mon handicap il faut se rendre à l’évidence je ne peux plus faire les mêmes choses, même si je fais à nouveau beaucoup de choses, je ne fais plus les mêmes. Dans le travail du chien, on doit mettre le costume d’attaque, ce qui ne m’est plus possible, et si je tombe sur le chien, je risque de le blesser, voire de lui briser la nuque. La finalité aussi c’est de partir en opération et avec ma prothèse de marche, je ne peux pas courir, je ne peux plus faire tout ce que doit faire un soldat. Non, il n’y a pas de regret, par le sport j’ai réussi de belles choses. J’étais sergent, je n’ai pas eu la chance de partir en opération, mais j’ai eu une autre carrière, j’ai représenté la France d’une autre manière, à mon petit niveau. J’ai pu me rendre, en Allemagne, Sydney, les USA, la Corée, la Chine ; Je ne vais pas me plaindre. Ce que m’apporte le sport, et grâce à l’armée, c’est exceptionnel. Maintenant j’ai 33 ans, je pense que j’ai quand même réussi à faire de belles choses, que je n’aurai jamais faites en restant valide, je suis vraiment content de ce que j’ai fait, de ce que j’ai pu vivre ».
b)- Jamel et le « cross inter-armées »
Le témoignage de Jamel85 est lui aussi très émouvant mais révélateur de la puissance du sport dans la réinsertion. Jamel compte 23 ans de carrière militaire et il présente un parcours totalement atypique. Son handicap n’est pas consécutif à une blessure militaire mais à un AVC à l’âge de 3,5 ans et une hémiplégie sévère du côté droit. Lorsqu’il a été appelé sous les drapeaux il était convaincu d’être réformé. « j’avais un gros dossier médical, mais j’étais fort en athlétisme, j’étais vice-champion de France, et dans mon ordre d’appel il était indiqué athlète de haut niveau ». En effet, jeune il s’est réfugié dans le sport. Un peu touche à tout, et plutôt doué, il essaie, l’escrime, le foot, le basket, le volley, l’athlétisme. Si le sport collectif l’attire, son handicap y est bien trop visible, et l’escrime trop onéreux. « l’athlétisme c’est rien, un tee shirt, une paire de chaussures. Quand je courais mon handicap se voyait peut-être un peu, mais je courais avec les valides et à l’arrivée il n’y avait pas de différence et personne ne savait pour mon handicap. j’ai beaucoup souffert à l’époque, j’ai subi pas mal de moqueries à l’école, alors je me suis réfugiée dans le sport, et l’athlétisme ».



@ Chrisine Lechevallier
Ainsi rejoint-il l’armée, ce milieu qu’il percevait comme « celui d’hommes forts, un peu macho », avec quelques réticences. « Pendant les deux premiers mois, je me suis fait discret, j’étais complexé. Je faisais tout presque comme tout le monde, mais en fait je cachais mon handicap, je ne voulais pas en entendre parler ».Très peu en fait connaissait son histoire ; il a fait une carrière militaire longue, en taisant son handicap, il est parti en opérations extérieures deux fois au Kosovo, a passé une spécialité de NBC (Nucléaire Biologique Chimique), et comme il poursuivait l’athlétisme, il a été sollicité pour le cross régimentaire qu’il a gagné. Ensuite, il a fait 7ème au championnat de France de cross et 12ème au cross inter-armées. « C’était impressionnant, c’est cela je crois qui m’a aidé et soulagé. Mon chef de corps m’a encouragé, et ça m’a sauvé » confie-t-il. Si à l’école ou dans sa période de travailleur handicapé dans le civil, il a beaucoup souffert du regard que l’on portait sur son handicap, à l’armée, il s’est senti reconnu pour ses compétences, et pour les valeurs humaines qu’il portait.
Néanmoins deux événements l’ont marqué et ont contribué à son investissement dans la compétition handisport de haut niveau. Il se souvient : « je revenais du Kosovo et le Président de la République commémorait le 18 juin au Mont Valérien comme chaque année. J’étais dans les premiers rangs et lors de la répétition, le chef qui n’était pas informé de mon handicap n’a vu que mon bras pas droit et il m’a exclu des rangs. Je suis parti en pleurant, et j’étais dépité, le handicap me rattrapait comme quand j’étais enfant ». C’est dans cette période de questionnement, qu’il a été sollicité à nouveau pour intégrer l’équipe handisport, mais le testing pour la classification dans l’équipe handisport l’a profondément bouleversé. Se retrouver parmi des sportifs avec de lourds handicaps l’a alors fortement impressionné, mais l’a aidé à progresser. Par la suite, il a participé aux championnats de France, d’Europe, et a enchaîné les titres. Aujourd’hui, il poursuit ses entraînements avec toujours autant de ferveur, et ne craint plus les regards extérieurs, et assume son handicap. « Le sport m’a vraiment sauvé, l’armée regarde l’humain et pas le handicap, et puis il y a la reconnaissance des frères d’armes à travers le sport ».
c)- Guillaume et « les Marine Corps Trials »
Guillaume, rencontré lors des entraînements pour les Invictus Games de 2022 a accepté de raconter son parcours de reconstruction86. Il a été blessé en juin 2016 au Mali, pendant l’opération Barkane. Il était sur la base avancée de Gao, et au retour de mission, il a été victime d’un engin explosif improvisé, qui a détruit son véhicule blindé. Rapatrié en France, il est resté de longues semaines à l’hôpital avant de pouvoir commencer à marcher à nouveau, mais ne pourra pas retrouver un usage parfait de sa jambe ; sans parler des conséquences multiples. Dès lors sa vie en est chamboulée, « en tout premier lieu, égoïstement on pense que ça ne touche que soi, mais en fait c’est vraiment le principe du caillou dans la mare avec l’onde de choc qui part et qui impacte tout votre entourage, à la fois personnel, mais aussi professionnel, parce physiquement vous êtes devenu incapable, d’un seul coup vous ne pouvez plus vous projeter sur les projets auxquels vous pouviez prétendre ». Si Guillaume a pu se relancer sur un plan plus personnel, grâce au sport, malheureusement, cette adaptation n’a pas pu se réaliser au niveau professionnel « c’est ce qui m’a touché le plus au début. Tout ce que j’avais établi comme plan de carrière fut balayé, il a fallu tout revoir, changer mon fusil d’épaule et me réorienter ». En revanche, l’adaptation est envisageable dans la pratique sportive. Guillaume confirme le fait que « tout est adaptable à l’individu, donc on peut faire, différemment parfois, mais on peut seulement à partir du moment où on commence à comprendre qu’il n’y a plus de limite, et que la seule limite en fait est celle qu’on s’impose à soi-même ». Aujourd’hui Guillaume pratique de nombreux sports le tir à l’arc, le crossfit, de la natation, du rameur, du volley assis, du basket fauteuil mais cet épanouissement par le sport ne fut ni simple, ni évident.



@ Jane Oron
Les difficultés pour se déplacer, les multiples séances de kinésithérapie, la douleur, créent très vite une spirale infernale descendante. « J’ai eu des périodes de grosses dépressions au cours desquelles je n’avais aucun rythme de vie régulier, je ne faisais pas de sport, et j’avais une hygiène de vie déplorable ». C’est dans ce contexte qu’intervient l’invitation de la CABAT pour « le stage mer et blessure » qui est un stage de reconstruction par le sport autour de la thématique aquatique avec du surf des mers. « Ce stage a vraiment été le déclic pour moi, qui était resté jusque-là en retrait, à me lamenter, en pensant que je ne pourrais plus rien faire ». Guillaume se retrouve comme projeté dans l’eau sans vraiment l’avoir recherché et très rapidement il se sent à l’aise, le fait d’avoir une jambe moins agile ne le gêne pas trop, au contraire même, il peut se mouvoir avec une certaine aisance. « Puis, j’ai vu mon collègue, amputé, se mettre debout sur la planche avec sa prothèse, et là je me suis dit que si lui pouvait le faire alors pourquoi pas moi ». Après quelques efforts, il réussit à son tour, à se mettre debout, et de bonne sensations l’envahissent, et il comprend qu’une activité physique peut l’aider à se sentir mieux. Ce stage l’a amené à changer de mode de vie, et surtout lui a montré qu’il était capable.
Quelques mois après, la CABAT le sollicite pour participer aux « Marine Corps Trials » en 2019.C’est une compétition organisée par les Etats-Unis pour leurs blessés, au cours de laquelle des nations amies sont invitées à participer à ce challenge sportif. La France a été invitée 7 fois et Guillaume y a participé deux fois. « j’ai sauté sur l’occasion en me disant que ce serait mon premier objectif. J’avais quatre mois pour être physiquement apte. Je me suis entraîné sur divers sports, la natation, le rameur, le tir à l’arc ». Cela a ainsi contribué à lui redonner un rythme de vie régulier. Mais, le but premier n’était pas de faire une médaille, mais plutôt d’atteindre le nouvel objectif qu’il s’était fixé, à savoir de faire 1mn30 en natation au 100m nage libre. Atteindre cet objectif était pour lui une réelle satisfaction car « je me remettais ainsi ma propre médaille », mais en plus, « grâce à ma performance faire une médaille, était inespéré et je fus doublement content ». Le podium n’était pas la motivation première de Guillaume, sa priorité était d’atteindre son objectif personnel. Au final il a réussi à remplir le double challenge personnel et compétitif.
Par la suite, en 2020, Guillaume a endossé le rôle de capitaine de la délégation française87. En acceptant ce poste, sa mission était désormais de guider ceux qui étaient en début de parcours de reconstruction, comme le capitaine de l’équipe l’avait fait quelques mois auparavant. Pour lui. « Je leur ai tenu le même discours. Je leur ai dit qu’il ne fallait pas y aller avec l’objectif de faire des médailles parce que finalement ils seraient déçus ou risquaient de l’être ». En revanche, il invite à se fixer différents objectifs atteignables et séquencés dans le temps « tel repère ou telle zone d’excellence, à telle période, ou pour tel événement ; l’émulation faisant le reste ! ». Le discours est passé, ils se sont tous entraînés avec acharnement chacun de leur côté, et ils ont réussi au-delà de leur espoir en accrochant une médaille d’argent en sport collectif, malgré le peu de possibilités à se tester ensemble au préalable. « Très honnêtement, c’est pour moi la plus belle médaille parce qu’elle est collective, tout le monde a joué dans cet esprit de corps, et non pour soi, ce qui fait que finalement on a réussi à gagner. Souvent une médaille d’argent est plus difficile à accepter même si c’est un podium, car elle conclut le dernier match sur une défaite, contrairement à une médaille de bronze qui est une victoire lors du dernier match ». Cette victoire était non seulement sportive mais surtout une victoire collective sur leurs blessures, montrant une nouvelle fois que tout est possible dès lors que le blessé ne se met pas de limite mentale. « On était vraiment content, car on s’était défoncé, on avait atteint nos objectifs personnels, mais surtout, cette médaille on l’avait gagné ensemble, pour les autres ». Les Marine Corps Trials comme les Invictus Games ne recherchent pas la performance, mais plutôt remettre les blessés dans un esprit de saine compétition. Et leur démontrer qu’ils sont capables. « On est vraiment dans quelque chose de bienveillant », si l’esprit de compétition demeure, les encouragements eux sont collectifs, ceux qui ne participent pas à un moment de la compétition, vont encourager indistinctement ceux qui concourent, et de belles amitiés peuvent naître entre ces sportifs de toutes nationalités.
Après ce challenge réussi, Guillaume s’est posé un nouvel objectif : les sélections aux Invictus Games, qu’il a réussi, c’est pourquoi actuellement il vient régulièrement au CNSD pour s’entraîner pour les jeux de 2022 à la Haye. Ce sera sa première sélection, mais il ne compte pas en rester là, et de nous souffler « dans un coin de ma tête, il y a les JO de 2024 ». En attendant ces échéances, il s’entraîne durement pour relever un défi extraordinaire, réaliser l’ascension du Mont Blanc, avec un camarade amputé d’une jambe, pour délivrer lors de la journée nationale des blessés, à tous les blessés et toutes les personnes en situation de handicap un message d’espoir. « Le chemin pour atteindre la résilience est très long. J’ai réussi, d’autres ont réussi, et ces personnes que j’ai rencontrées ont été pour moi des moteurs, et des exemples. Ils m’ont poussé vers l’avant pour que moi-même je me mette en situation de vouloir ». Autre satisfaction de Guillaume : faire changer le regard des autres sur le handicap et de raconter avec humour que c’est lui ‘’le handi-capable’’ qui incite ces collègues et amis à faire du sport et les entraîne parfois dans des activités sportives. « j’ai envie d’être cet élan qui permet à d’autres d’aller de l’avant ».
d)- Frédéric, Thomas et les Invictus Games

Frédéric blessé psychique, Thomas blessé physique et amputé d’une jambe se retrouvent une nouvelle fois pour des entraînements dans la perspective des Invictus Games de 202288. Ils ont découvert au centre de Fontainebleau le rugby fauteuil et même si auparavant le rugby n’était pas leur sport de prédilection, cette activité sportive leur tient aujourd’hui, à cœur. En effet, l’esprit d’équipe prédomine, les aide, les porte « les fait grandir et les élève ». Un camarade sera toujours là pour l’autre, et quel que soit le handicap « on est sur le même pied d’égalité » note Thomas avec une pointe d’humour. Le sport leur permet de retrouver cet esprit de cohésion qui était de rigueur lors des opérations, il « permet d’être entre nous, de réapprendre, de ne pas avoir de regard de pitié, et de nous réadapter socialement ! ». S’ils sont tous compétiteurs dans l’ âme, les Invictus Games restent avant tout pour eux, un moment de partage « partage entre blessés, partage entre accompagnants, partage entre nations ». Au-delà c’est une expérience formidable qu’ils vont vivre « on va porter le drapeau autrement qu’avec un treillis, se sera avec un survêtement bleu-blanc-rouge, et ce sera un honneur ! ».
Les forces armées portent une attention particulière à la prise en compte du handicap pour développer une politique cohérente en liaison avec le Service de santé des armées (SSA), les cellules d’aide aux blessés et le CNSD dont un axe est principalement orienté sur le sport. Mais, elles offrent également la possibilité de découvrir de nouvelles activités comme, des cours de langue, de théâtre, des travaux de la terre… Quelque soit l’activité ou le sport, tous ces blessés se retrouvent pour délivrer un même message d’espoir, celui que tout est encore possible. Il faut « oser », « aller toujours de l’avant », « ne pas se fier au regard extérieur et de croire en soi », « ne pas se replier sur soi et communiquer ».
B- Le Centre national des sports de la défense (CNSD) 89
Véritable Panthéon du sport (1°), le CNSD a inscrit son soutien au handicap (2°) en proposant des parcours de reconstruction variés et adaptés (3°).
1°- Une structure dédiée au sport
Créé le 1er janvier 2006, le Centre National des Sports de la Défense est un organisme interarmées placé sous l’autorité du chef d’état-major des armées et commandé par le commissaire aux sports militaires qui comprend l’École interarmées des sports (EIS) et l’École militaire d’équitation (EME), reconnues pour leur expertise en matière d’entraînement physique militaire et sportif. La première, créée en 1967, émane de la fusion de plusieurs écoles dont le célèbre groupement sportif de Joinville avec la section sportive de parachutisme de Pau, et assure entre autres la formation des spécialistes d’Entraînement Physique Militaire et Sportif (EPMS). La seconde, ainsi baptisée depuis 2017, héritière d’une tradition équestre et militaire de cinq siècles, forme les militaires aux différents métiers du cheval (instructeurs d’équitation, chefs d’écuries, cavaliers soigneurs, maréchaux-ferrants). Ses missions portent sur la formation des chevaux et des hommes. L’école prépare jusqu’à 200 chevaux par an avant de les redistribuer vers les 19 sections équestres réparties sur le territoire français. L’EME est un pôle d’excellence qui apporte sa compétence à la politique du handicap voulue par le ministère de la Défense. Le CNSD s’exprime et innove autour de valeurs fortes qui rassemblent, et pour illustrer cette recherche constante de l’innovation et de l’excellence, il convient de rappeler que la première équipe de France de bobsleigh est née à Fontainebleau pour les jeux olympiques de Grenoble en 1968.
Si le sport est un des piliers de la préparation physique et psychologique et du développement des capacités du militaire, c’est aussi « une discipline qui nécessite de la rigueur, le goût de l’effort, voire du dépassement de soi »90. C’est également, un facteur d’épanouissement, de cohésion sociale, d’entraide et c’est enfin pour tous ceux qui le pratiquent un outil de santé publique91. Ce sont autant de valeurs communes entre le monde militaire et celui du sport. Ainsi, Le sport prend une dimension tout à la fois ludique et professionnelle, et l’utiliser comme un support de reconstruction permet au militaire de retrouver certains de ses repères et une qualité de vie.


@ Christine Lechevallier
Le CNSD met en œuvre la politique du ministère des Armées en matière de sports et décline ses actions dans une logique de transversalité ‘’inter-disciplinaire’’,’’ inter-armées’’, ‘’inter-ministérielle’’, ‘’inter-nationale’’. Elles sont construites de façon complémentaire, pour tous les militaires des armées, de l’air, de terre, de la marine nationale, de la gendarmerie nationale; en associant des acteurs des ministères aussi bien de l’intérieur, des sports, des finances, que du monde associatif, et le conseil international du sport militaire (CISM), crée en 1948. Il regroupe aujourd’hui 140 pays dont la volonté se traduit par cette devise « l’amitié par le sport ». Ses missions nombreuses et diverses sont précisées dans l’arrêté du 3 juin 2016 et poursuivent plusieurs objectifs fondamentaux dont le sport comme pilier de la préparation individuelle et collective des armées, le développement de l’inclusion des blessés ou encore le développement du sport de haut niveau. Dans ce contexte, la formation pour les moniteurs de sport et personnels encadrant est très pointue, avec une volonté d’avoir un maximum d’unités sensibilisées à la blessure et au handicap d’où la mise en place d’une mention complémentaire.
Au-delà de la conception et de l’organisation de près de 50 formations, et autant de stages, de cursus ou de spécialisation pour plus de 1000 stagiaires par an92, le centre coordonne les activités des sports équestres militaires au sein du ministère favorise la pratique sportive pour conforter le lien entre les armées et la nation, contribue au rayonnement sportif de la France en organisant et participant aux championnats nationaux militaires et aux rencontres internationales militaires et enfin gère les sportifs de haut niveau. En effet, le sport de haut niveau est une composante de la politique sportive de l’armée qui affiche depuis l’accord-cadre de 2014 une équipe, « l’armée de champions », en remplacement du mythique Bataillon de Joinville, de plus de cent sportifs de haut niveau, tel Martin Fourcade en Biathlon ou Clarisse Agbegnenou en judo, dont quinze sont en situation de handicap93. Un protocole de soutien aux délégations sportives pour Paris 2024 vise à passer à l’horizon 2023 de 100 à 170 sportifs de haut niveau dont 30 en handisport, sachant que ces derniers ont remporté de nombreux titres dans les différentes compétitions. .
2°- Une référence pour le handicap
Grâce à ce niveau d’excellence, Le CNSD, est reconnu comme un acteur central du parcours du blessé par les textes précités. L’arrêté de 2016 rappelle en son article 3 qu’il « contribue à la réinsertion par le sport des militaires blessés » tandis que pour le Ministre Le Drian, c’est « une manière très concrète de porter la reconnaissance de la Nation »94. Une cellule spécifique « le Département militaires blessés et sport » (DMBS) a été créée en 2013 pour toutes les personnes en situation de handicap du ministère des Armées95. Sa mission de base est d’aider les blessés à se reconstruire par la pratique d’une activité sportive adaptée à leur handicap, sous la forme de stages multisports96. Elle est ensuite montée en puissance avec les protocoles de 2014 et 2019 ; ce dernier voulant en faire une référence santé et handicap. De ce fait, le CNSD s’implique maintenant dans le parcours de reconstruction lors de trois phases principales : la phase hospitalière au cours de laquelle l’hôpital Percy expérimente des activités de rééducation et de réadaptation à l’effort, la phase de stage pendant laquelle le blessé découvre ou redécouvre une activité physique à sa mesure et à son goût, la phase de compétition qui permet au blessé de s’exprimer.



@ Christine Lechevallier
Le capitaine responsable du département, coordonne les activités du centre autour des blessés. Il est accompagné en cela de quatre référents. Leur feuille de route s’inscrit dans l’axe 2 du plan 20/2597 dans le but d’optimiser la reconstruction et la réinsertion par le sport, qui s’articule autour de dix mesures dont la labellisation des stages, l’accueil de tous les ressortissants de la Défense, la formation des cadres à la blessure et au handicap, l’association des familles. Les stages proposés sont des temps de découverte issus d’un panel d’activités sportives déclinées en activités physiques pour donner envie au blessé, sans jamais le forcer. Le stage est un outil déclencheur mais la démarche pour poursuivre une fois de retour chez lui, relève de sa propre initiative et non du centre et des quatre référents qui les pilotent.
Les blessés bénéficient au CNSD, d’installations adaptées et de qualité, leur permettant de s’entraîner dans de bonnes conditions, avec des moniteurs certifiés désireux de s’investir dans le handicap. Le centre réalise également à l’attention des moniteurs EPMS (Entraînement Physique Militaire et Sportif), un stage pour assurer l’encadrement et l’entraînement des blessés. Dans le cadre de cette formation, les candidats vont aller en immersion psychique, à l’hôpital de Percy, car de plus en plus souvent confrontés à cette blessure invisible, si difficile à gérer. Le centre envisage un certificat de spécialisation similaire au certificat complémentaire d’accompagnement et d’inclusion des personnes en situation de handicap existant dans le civil afin de constituer un maillage national de personnes qualifiées, qui viennent renforcer le CNSD.
L’École militaire d’équitation (EME) contribue aussi à cette reconstruction du blessé par son savoir-faire unique, Le site de l’EME est déjà, en lui-même une véritable surprise et découverte qui plonge le visiteur dans l’histoire de France grâce à un patrimoine monumental exceptionnel, en particulier avec le manège Sénarmont classé monument historique. Dans ce contexte, le blessé est au centre du dispositif, et le CNSD se définit comme un acteur de cette chaîne de solidarité. Ainsi, il va œuvrer de concert avec le SSA qui va mettre par exemple à disposition du centre, des thérapeutes ; mais aussi avec la fédération française de handisport ou encore des clubs sportifs comme avec le stade toulousain afin de construire des accompagnements sportifs. Il va également solliciter les associations pour soutenir financièrement les investissements de prothèse, ou encore des mécènes privés pour concrétiser les actions de réinsertion.
3°- Un challenge de reconstruction par le sport
Le parcours de reconstruction au centre se décline depuis la rééducation (a) jusqu’à potentiellement les jeux paralympiques (b). Aujourd’hui, la rééducation par le sport se conçoit dès l’hôpital, dès lors que le médecin a donné son aval, en particulier pour les blessés psychiques (SPT). Ce parcours se construit autour des actions pilotées par les référents RMBS (équitation adaptée, Ad Victoriam, compétition) qui fonctionnent toujours en binôme, l’un étant référent sur un pôle et adjoint sur l’autre, car en fait ils vont être amenés à côtoyer les mêmes blessés. Retrouvons leurs témoignages98.
a)- De la rééducation à la reconstruction
Après l’hospitalisation, Le CNSD propose par l’entremise des cellules d’aides aux blessés, des rencontres dénommées les rencontres militaires blessures et sport (RMBS) comme première étape. C est une étape de découverte ou de redécouverte non seulement d’une activité mais aussi de soi où chacun doit pouvoir s’accomplir, trouver sa place quelles que soient ses capacités ou sa blessure. Le centre ne posant aucune limite le blessé ne doit pas, de son côté, se mettre de limite dans cette expérience. « Cependant, il en veut à sa blessure, et le sport est alors une façon de la dépasser, car la volonté ne dépend pas de la blessure elle-même mais du regard que le blessé porte sur lui. Durant les rencontres, l’esprit de corps est très fort comme en service, c’est rarement l’unité qui bannit le blessé, mais plutôt lui qui se bannit ». Lancées en 2011 par le CSINI à Bourges, reprises en 2012 par la CABAT, et confortées depuis 2014 par le CNSD, elles visent à montrer qu’en sortant de l’hôpital le blessé n’est pas seul et que sa blessure n’est pas un obstacle. Une fois l’appréhension de l’arrivée passée, les RMBS sont tout à la fois l’opportunité de réintégrer la collectivité, recréer du lien, sortir de son isolement, de son repli, renouer avec le sport, découvrir des activités, partager une expérience et trouver une écoute compréhensive en la personne du référent mais surtout d’un autre blessé. En effet, il est bien plus simple de parler de sa blessure à un autre blessé qu’à un valide, et ainsi pour certains, les portes du dialogue s’ouvrent. Les référents sports du centre perçoivent toujours l’arrivée d’un blessé comme une réussite « simplement venir c’est déjà très bien, c’est un grand pas ». Durant toute la semaine de stage, l’emploi du temps demeure adaptable, rien n’est obligatoire ».
Les référents et les moniteurs restent toujours à leur écoute, vigilants sur ce que le blessé ressent, ou pense. Il peut être acteur de l’activité proposée (natation, athlétisme par exemple) ou se mettre sur le côté du terrain dans un premier temps en attendant le moment où il se sentira prêt à rejoindre les autres. « Il ne sera absolument pas jugé, ni par nous ni par les autres blessés, ni par les autres personnes qui sont présentes », et lorsque le blessé se décidera à les rejoindre, cet instant sera alors perçu comme une nouvelle réussite. Les RMBS se déroulent normalement pendant trois semaines au mois de juin, à raison de 20 personnes par semaine, dont 14 blessés autonomes et 6 grands blessés, et toute blessure confondues SPT et physique. Le service de santé des armées (SSA) est toujours informé des stages, et pourra si nécessaire détacher du personnel supplémentaire auprès du service médical du centre : kinésithérapeutes, infirmiers, ostéopathes, ergothérapeutes, psychologues. Le SSA est un partenaire majeur qui pilote, avec le commissaire au sport militaire, le comité de labellisation. Chaque année, ce comité doit labelliser les stages proposés par le CNSD, avant qu’ils ne soient offerts. « Dans le cadre de la reconstruction physique et psychique du blessé, le sport tient une place essentielle. Encourageant les échanges, il permet de combattre le stress et l’isolement en favorisant la solidarité et le dépassement de soi. Outil de reconquête du corps, le sport permet de repousser les barrières du handicap, de rendre réalisable ce qu’on pouvait croire auparavant impossible. Ces rencontres illustrent donc parfaitement le rôle que le sport peut jouer dans la reconstruction personnelle et la réinsertion sociale de nos militaires blessés »99 confirme le ministre des Armées.
La deuxième étape des RMBS passe par de l’équitation adaptée, expression que le CNSD privilégie à équithérapie. Le référent se définit comme un cavalier-accompagnateur qui fait découvrir le plaisir d’une activité et non comme un thérapeute. « Je ne soigne pas ! » dit-il. Construite, pilotée, animée par le référent équitation, cette activité déroulée sur une semaine propose au blessé de redécouvrir, au contact de l’animal, des sensations physiques et des émotions bénéfiques à leur reconstruction. Ces stages ne s’inscrivent pas dans des parcours de soins, mais de santé et ont une visée de loisirs et de bien-être dans la re-sociabilisation du blessé. Les blessés accueillis à l’EME sont autant des blessés physiques que psychiques qui s’inscrivent aux stages de façon volontaire, même si pour la plupart, ils n’ont pas une perception exacte de ce qui leur est proposé, ni du cadre d’accueil. Ce stage accueille actuellement 1/3 de blessés physiques, certains sont polytraumatisés voire tétraplégiques, et 2/3 de SPT. « l’union du cheval et de l’homme pour se reconstruire » telle est l’ambition de l’école militaire d’équitation. Les activités de reconstruction ont commencé en 2015, se sont développées et diversifiées. Depuis, 400 blessés ont été sensibilisés à l’équitation adaptée, et 7 stages ont été proposés en 2019.



@ Christine Lechevallier et @ Jade Horon
Comme pour toutes les autres activités du CNSD, le blessé est au cœur du dispositif d’où le terme d’équitation adaptée, car tout est conçu en fonction de ses attentes et de ses craintes, de ses capacités et de ses difficultés, depuis la tenue dont il sera vêtu (bombe, chaps…) jusqu’à la relation avec le cheval qui sera nouée. La tenue par exemple est importante explique le référent ; « elle donne un sentiment d’appartenance, elle permet de s’identifier, de s’inclure et ainsi de commencer à repousser l’exclusion dans laquelle il s’était réfugié ». Pour un certain nombre de blessés, le stage est une des premières sorties, un premier retour vers la société. L’approche de l’animal se fait progressivement avec des chevaux ou des poneys. Un temps d’observation est toujours ménagé avant de pénétrer dans le manège. Le cheval ne porte pas de jugement, il ressent le blessé et bien souvent, c’est lui qui va choisir son partenaire. Cet instant est toujours magique pour le référent équitation. L’activité ne se décline pas comme une séance d’équitation traditionnelle, mais « comme une relation de confiance où l’homme et l’animal vont être ensemble soit côte à côte, soit dessus ». Pour garantir la sécurité et favoriser le contact avec le cheval, un binôme (un cavalier de l’EME et un participant) est constitué. Des références en équitation n’étant pas demandée, cette présence attitrée rassure le blessé et l’amène à dépasser ses réticences100.
L’attelage est aussi un atout dans la reconstruction physique et psychique car « en passant les rênes au blessé on lui propose la possibilité d’une intervention sur le guidage, sans susciter la peur de la perte d’équilibre ». Par ailleurs, en lui donnant la responsabilité d’un groupe, le moniteur lui envoie aussi un signe de confiance. Enfin, il lui offre un environnement paisible que rythme le pas régulier du cheval, propice à libérer la parole. « Une espèce de bulle de connivence et de sérénité se crée alors autour du groupe d’une manière générale et du blessé plus particulièrement. En effet, il existe un point commun fort entre le cheval et le blessé, c’est l’hyper vigilance qui les animent constamment, car l’un et l’autre se perçoivent dans l »environnement humain qui est le nôtre comme un étranger » précise Benoît. Et de compléter : « On est à cheval comme on est dans la vie. On ne peut pas mentir sur ce que nous ressentons quand nous sommes à cheval. L’animal renvoie les émotions de son partenaire. Je devine l’état émotionnel des participants grâce aux réactions de leur monture ». Ainsi, si le cheval détecte les émotions des cavaliers, il lui offre aussi le sentiment de lâcher-prise. Cette rencontre va apporter apaisement, concentration, confiance, autant de vertus pour une aide précieuse sur le chemin de la reconstruction101. Plusieurs niveaux sont proposés ; le stage « découverte », qui intervient dans le tout début du parcours de reconstruction, puis le stage « famille » qui est proposé pour continuer la dynamique enclenchée lors des Ad Victoriam, et enfin le stage « pleine nature » permettent une reconstruction progressive. Ils regroupent de 6 à 8 personnes.
La troisième étape s’opère avec le challenge annuel Ad Victoriam qui veut dire « vers la victoire ». C’est un challenge sport pour tous. Le terme sport dans ce contexte doit être pris au sens large, il s’agit plutôt d’une activité physique. « On s’appuie sur l’activité sportive pour en faire une activité physique » précise le référent. Il en va de même, pour le terme challenge, qui doit être compris comme un prétexte de rencontre. « La compétition n’est pas la finalité du challenge, le but est de venir, de finir le parcours et surtout de se retrouver ensemble. C’est avant tout une aventure humaine ». Organisé depuis 2015, il se décline en un circuit qui comprend 8 à 9 étapes, en des lieux différents, avec des activités physiques très diverses et variées (judo, parachutisme, plongée, rugby fauteuil…) adaptées aux pathologies que ce soit un syndrome post-traumatique, une hémiplégie, ou une amputation. « Le challenge vise à montrer au blessé de quoi il est encore capable, de développer la confiance et l’estime de soi, la responsabilisation ». Afin d’avoir une démarche plus inclusive, certaines étapes se déroulent en même temps que des préparations de compétition, « il peut arriver qu’on fasse nos entraînements en même temps que le pôle athlétisme. On n’est pas avec eux sur les mêmes séances, mais on est sur les mêmes lieux, et au même moment » précise Stéphane, « ou dans un régiment, avec la participation du personnel militaire lors des activités. Lors de ces activités, les blessés ne sont pas seuls face à l’effort, on fait attention de les ‘’binômer’’ avec un valide, afin qu’il n’ait pas l’impression en venant ici, de rester encore entre blessés ».
Chaque étape est divisée en trois ateliers, toujours en équipe pour travailler la cohésion, l’entraide. A chaque atelier des points sont attribués et un petit classement, même s’il n’est pas significatif, vient clore l’étape « pour les inciter à revenir à la prochaine étape et ainsi progresser », et à la fin de l’année, lors de la cérémonie des blessés, des prix sont remis car ce parcours valorise la « régularité et la participation dans un parcours de reconstruction ». Ces étapes sont importantes pour eux car cela leur donne un objectif de mois en mois. « Une semaine avant le stage, il [le blessé] est un peu excité, il va revoir tous ses camarades, puis il vit l’activité, intensément. Il repart, et il est encore sur un petit nuage pour quelques jours, mais on n’est pas à l’abri que le moral rechute vite ». Ainsi, le fait d’avoir une perspective, pour le mois suivant maintient une certaine attention et évite ou freine les heures sombres. En revanche, c’est bien souvent lors de ces temps forts, que les référents et les moniteurs vont déceler le potentiel sportif d’un blessé et alors lui proposer de participer à des compétitions.
L’organisation du challenge Ad Victoriam se prépare un an avant, et chaque édition est différente de la précédente. Si c’est une mission de longue haleine, elle permet aussi de donner rendez-vous aux blessés. Cette démarche s’inscrit toujours dans la même stratégie d’accompagnement, en faisant en sorte que le blessé puisse se projeter.
Le stage famille constitue la quatrième étape. La famille est prise au sens large, parents ou amis, car certains n’ont plus de relation avec leur épouse, leur enfant. En fait, le stage sera destiné à ceux (dans la limite de 2 à 3 personnes) qui tiennent une place importante dans la reconstruction du blessé. Cela leur permet de se retrouver et de se souder pour continuer le chemin de la reconstruction. Un psychologue du SSA est présent durant le stage, pour s’assurer en toute discrétion et avec empathie de la cohésion au sein du groupe et de la famille. Le centre fait en sorte que ce soit le même qui puisse suivre le blessé tout au long de son parcours, de sorte qu’il y ait une relation de confiance qui s’établisse. Le stage famille c’est l’aboutissement de la reconstruction par le sport, mais pas seulement ; des activités culturelles sont aussi proposées. Le but est de développer en eux le goût des activités familiales au travers d’un site ou d’une région. Grâce à une convention avec l’IGESA102, le stage, d’une trentaine de participants, bénéficie d’un hébergement convivial qui permet le dialogue, l’échange entre les familles, les blessés, mais aussi leurs épouses. Par exemple une année, « ils ont appris à cuisiner un plat local du Jura qu’ils ont dégusté tous ensemble, avant de visiter le village de Beaume-Les-Messieurs et son abbaye, et de terminer la journée au Parc Jura-faune, avec les rapaces ».
Puis viennent, après les RMBS, toujours sans aucune obligation, les stages « natures », équitation ou multisports qui s’inscrivent dans la continuité, avec un objectif de progression. Ce parcours va donc s’inscrire sur plusieurs mois voire plusieurs années, d’où l’importance des binômes de référents précédemment évoqués. En effet, les référents pouvant être amenés à muter, la continuité du service dans la qualité du savoir-faire, et l’expertise doit être garantie. Mais au-delà, le référent transmet son enthousiasme, sa passion, et le commandant en charge des sports, de confirmer « de par leut formation de moniteur sportif, les référents sont déjà dans le passage d’un savoir à l’humain, et c’est pour cela qu’ils ont autant d’affinité pour ce métier si particulier, et communiquent aussi facilement avec les blessés ». «Ce qui nous intéresse, ce qui nous anime, c’est de les voir progresser, c’est fantastique » renchérit un référent. Leur rôle auprès des blessés est important ; il dépasse très largement le cadre de l’entraînement sportif et la dimension humaine avec toute sa fragilité guide leur action quotidienne. Tour à tour confident, bien qu’ils ne recherchent pas les confidences, copain, frère, et adjudant, ils sont des hommes orchestres qui vont veiller sur le blessé, sans jamais confondre accompagnement et thérapie, sans jamais poser de question intime. « On doit apprivoiser le blessé et en même temps s’en détacher ». Cependant, régulièrement confrontés à des charges émotionnelles fortes, ils se doivent aussi d’être vigilants pour eux-mêmes et leur famille. Leur métier est aussi une leçon de vie qui les aide aussi à relativiser les soucis.
b)-De la reconstruction à la compétition
Même si la compétition n’est pas une finalité pour le CNSD, mais plus un objectif personnel pour le blessé, la consécration de la reconstruction par le sport trouvera son apogée dans les compétitions de haut niveau que sont les championnats de France, du monde et les jeux paralympiques ou encore les jeux militaires mondiaux. Mais, au départ, les blessés n’ont pas un objectif de compétition, c’est au fur et à mesure qu’ils se découvrent et qu’ils se réapproprient leur corps dans l’effort du sport, que l’objectif compétition se lie intimement à celui de reconstruction. Ainsi, aux jeux mondiaux militaires de 2019 à Wuhan103, deux disciplines, athlétisme et tir à l’arc, étaient inscrites aux compétitions, et 18 sportifs handicapés ont pu y participer. Le centre prépare également les participations prochaines aux jeux mondiaux d’hiver en Allemagne. Ceux-ci auront lieu, selon les circonstances actuelles, au mois de mars 2021 en Allemagne. Enfin, Les Héros Military Games sont en cours de création. Les blessés accompagnés de leurs frères d’armes valides vont se lancer dans un challenge sportif dont le seul objectif est de finir ensemble. Cette action inclusive sera soutenue par les nombreuses associations sportives et handisports, et ouverte au public. Envisagés initialement pour 2021 en France, les Héros Games, qui devraient voir le jour prochainement, ont pour ambition de devenir internationaux, et être portés par un pays différent, tous les deux ans, en alternance avec les Invictus Games. La volonté du CISM est d’ouvrir également cette action aux familles d’une part et au réseau international des blessés.



Enfin, le CNSD assure l’entraînement et la cohésion des sportifs qui vont participer aux « Invictus Games » lors de sessions d’une semaine, à un rythme intensif. S’inspirant des jeux paralympiques, les jeux Invictus sont des compétitions multisports pour militaires et vétérans de guerre blessés et handicapés, initiés par le Prince Harry de Galles. Inauguré en 2014 à Londres, cet événement a pris une envergure internationale avec pas moins de 15 nations, 500 compétiteurs, et 1000 accompagnants qui se rencontreront en 2022 à La Haye. 24 athlètes français devraient y participer et participeront à plusieurs disciplines comme le tir à l’arc, le rameur, le rugby fauteuil ou le volley assis. Ce challenge offre la particularité d’accueillir les familles comme accompagnateurs, car la compétition n’est pas une finalité en soi, mais un outil de reconstruction, reconstruction qui doit se faire tant au niveau de la sphère familiale que de la sphère sociale et sociétale. Ainsi, comme le stipule Erwan, l’objectif su CNSD est de rendre le blessé plus autonome, en particulier dans sa pratique sportive et « si cela passe par la compétition, c’est très bien aussi, car il va pouvoir s’épanouir. Quelques-uns représenteront la France dans des compétitions internationales, et on a l’exemple de certains qui ont même participé aux jeux paralympiques ».
C- Le Cercle sportif de l’INI (CSINI)
Crée en 1966, installé au cœur de l’hôtel national des Invalides à Paris, le CSINI est la principale association française handisport. Le raid VTT de l’été 2020, ici relaté (1°) est une illustration du programme riche et diversifié d’activités du CSINI (2°) à l’attention de ses membres.
1°- Un raid vélo en Auvergne
Dans le même esprit que le CNSD, le cercle sportif des Invalides, organise chaque année des stages et des raids. En août 2020, l’Auvergne terre d’accueil, d’effort et de solidarité n’a pas failli à sa réputation ; elle a accueilli une nouvelle fois, le raid VTT organisé par le Cercle Sportif de l’Institution Nationale des invalides (CSINI). Proposé par leur cellule d’aide respective, il est ouvert aux blessés de l’armée de terre et de l’air, de la marine nationale, de la gendarmerie-de la brigade de sapeur-pompier de Paris, du service de santé des armées et aux blessés des attentats. Pilotée par le directeur du CSINI, la caravane est constituée de 2 groupes séparés, l’équipe roulante stagiaires/moniteurs et l’équipe logistique avec des personnels du CSINI chargés du soutien et de l’escorte de l’équipe roulante sur certains tronçons, de la gestion du matériel mis à disposition (casques, maillots, veste de pluie, gants …), de la restauration, de l’hébergement pour garantir un bon déroulement.


Encadré par quatre moniteurs de sport diplômés du CSINI et de la gendarmerie, ce raid a pris le départ le 21 août au Plomb du Cantal pour franchir la ligne d’arrivée dans la chaîne des puys le 24 août. Il a réuni six personnes en situation de handicap suite à des blessures physiques ou de stress post-traumatiques. Ces volontaires, et leurs accompagnants, équipés de vélos tout terrain à assistance électrique, ont traversé une partie du parc Naturel régional des Volcans, du Sud au Nord, par des chemins de terre, parfois scabreux et ardus, faisant étape le soir dans des burons où de belles flambées dans les cheminées d’antan les attendaient. Tous ensemble, unis dans l’effort et dans la complicité, ils ont relevé le défi de parcourir 175 km en quatre étapes de plus de 40 km, avec des dénivelés positifs variant entre 952 et 1231 mètres. Bien encadrés et soutenus, ils ont redécouvert le goût de l’effort, la motivation pour aller au bout du chemin et un accueil chaleureux et admiratif a été réservé à cette équipe cycliste si particulière.
Ils ont des parcours différents, des histoires différentes, mais l’envie de se reconstruire les rapproche, les unit dans une même volonté résiliente comme ce pompier de Paris fauché en intervention par un automobiliste inconscient qui l’a projeté à plus de 10m de son camion, ou ce spectateur du Bataclan qui veut dépasser ses blessures physiques et psychiques. Ce raid leur a permis de créer des liens de connivence, entre eux, de croiser des regards admiratifs par rapport à leur défi, d’échanger avec leurs hôtes, et pour certains de nous confier avec beaucoup de pudeur, leurs blessures, leurs parcours, et leurs projets. Ces échanges, ces confidences ont été extrêmement fortes et émouvants car pour certains, c’était la première fois qu’ils exprimaient à une personne hors de leur cercle familier et médical, leur blessure avec autant de sérénité et de confiance, sans aucune animosité, ni plainte. J’ai rencontré ce jour-là, sur la ligne d’arrivée, de belles personnes, heureuses d’avoir relevé le défi, souriantes et pleines d’espoir en l’avenir.
2°- L’alliance sport et handicap104
Avec plus de 400 membres, le Cercle sportif est la principale association française handisport tant par le nombre des adhérents que par ses résultats lors des Jeux paralympiques. Il a aujourd’hui pour mission de reconstruire et de réinsérer par le sport des personnes en situation de handicap, qu’elles soient militaires ou civiles. Cette mission se décline autour de trois volets .
Le premier volet va porter sur la reconstruction par le sport. En effet, le CSINI permet à des invalides, qu’ils soient pensionnaires, hospitalisés de l’Institution ou externes, militaires ou civils, victimes de guerre ou d’attentats de pratiquer différentes activités pour les aider dans leur parcours de reconstruction. Il participe également aux RMBS, mais propose aussi des stages qui lui sont propres : stages ski (fond ou descente) à Bessans, stages mer et vent en Méditerranée avec de la plongée, du padlle ou encore du kayak, stages familles. Afin de répondre au second axe, qui vise une offre sportive handisport la plus large possible à destination de tous les publics, le cercle anime également une dizaine de sections sportives (cyclisme, natation, escrime…) qui vont de la pratique de loisir à la compétition. À ce titre, Il accompagne des champions lors des Invictus Games et lors des compétitions de haut niveau avec un palmarès prestigieux en escrime en fauteuil roulant105. Le troisième volet concerne son ouverture sur le monde non militaire et vers l’enfance handicapée par le biais de partenariat avec trois instituts : le Centre Saint-Jean-de-Dieu, pour jeunes infirmes, l’Association des Jours Heureux, l’Institut d’Education Sensorielle jeunes déficients visuels et l’Association Valentin Haüy.
Agréé Jeunesse et Sports, et en liaison avec les équipes thérapeutiques de réadaptation fonctionnelle de l’INI, le cercle sportif est en fait une équipe, de 14 personnes, composée de moniteurs de sport, de maîtres d’armes, d’éducateurs sportifs et d’éducateurs spécialisés, qui œuvre autour du directeur et du coordinateur à l’accompagnement des sportifs et à la déclinaison de leur profession de foi « Seul on va plus vite, ensemble nous irons plus loin ».
Conclusion
J’ai parfaitement conscience que ce travail puisse paraître incomplet au regard des nombreuses structures qui interviennent dans le parcours du blessé, Il n’y a aucun choix délibéré de ma part d’en exclure, Mais compte tenu des conditions sanitaires, il m’a été difficile de me déplacer et de rencontrer leurs correspondants, et les rencontres établies sont toutes liées à de merveilleuses opportunités issues du réseau de ces « frères d’armes ». Ma volonté première était de m’inscrire dans la dimension humaine, et donc de recueillir des témoignages pour venir illustrer mes recherches documentaires. Il me reste aujourd’hui à concrétiser certains contacts pour ainsi enrichir ces recherches.
Pour finir, je tiens à remercier tous ceux que nous avons rencontré, pour avoir bien voulu replonger dans leurs souvenirs, revivre leur passé, et livrer ces témoignages, si touchants, si bouleversants, de m’avoir fait partager leur enthousiasme et leur émotion. Je les remercie de la confiance qu’ils ont bien voulu m’accorder, et je voudrai à mon tour témoigner de leur humilité dans leur combat quotidien pour la vie et la profondeur de leur engagement. Oui, j’ai rencontré de belles personnes qui donne foi en l’humanité.
1 – Article L4111-1, modifié par la loi n°2018-607 du 13/07/2018
2 – Fonds spécial pour aider les gendarmes -et leurs familles- blessés dans l’exercice de leurs fonctions
3 – Revue les amis de la gendarmerie n°329, p.2
4 – Rapport d’information Assemblée nationale N°2470 du 14/12/2014 (AN 2470)
5 – Rapport d’information Assemblée nationale N°2247 du 18/09/2019, p.33 (AN 2247)
6 – Mémoire et Vérité, blessés pour la France. ASAF. Hors série 2013, p.3
7 – Ibid p.48
8 – Entretien avec Ludovic, en date du 20/08/2020
9 – AN 2247 p.14
10 – Ibid
11 – Pour cette même année 2019, il convient de citer aussi les 13 militaires tués au Mali dans l’accident d’ hélicoptère
12 – AN 2247 p 19
13 – AN 2247 p. 25
14 – Revue les amis de la gendarmerie n°329 p.3
15 – Le parisien.fr/faits-divers/gendarmes-tues-a-saint-just-heros-du-quotidien-c-est-ca-notre-metier-23-12-2020
16 – Lemonde.fr/societe/article/2019/11/07/l
17 – Narration de l’officier Christophe lors d’un entretien en date du 3 juin 2020
18 – AN 2247 p.37
19 – Revue les amis de la gendarmerie n°325 p32
20 – « Le magazine de la santé » France 5 du 5 juin 2018 : Laurent Melchior Martinez, médecin des armées
21 – Editions Esprit com. Infirmier militaire/ paru au éditions
22 – interview de janvier 2021 par les étudiants UCA L3 mutli-média de Vichy
23 – Paru aux éditions Amalthée
24 – « Le regard vide » éditions Amathée, p.135
25 – Eye Movement Desensization and Reprocessing
26 – Entretien du 01/03/2021 à Fontainebleau
27 – AN 2247 p.17
28 – M. Olivier AUDIBERT-TRAIN et Mme Emilienne POUMIROL
29 – AN 2470 p.113
30 – AN 2247 p.33
31 – Entretien au CNSD le 17 juin 2020 : adjudant Philippe
32 – Guide du parcours du militaire et sa famille p 14
33 – http://www.defense.gouv.fr/blesses
34 – N° de téléphone : 08 08 800 321
35 – AN 2247 p.41
36 – Ibid p.40
37 – Entretien avec Christophe en date du 3 juin 2020
38 – AN 2247 p.56
39 – Témoignage du médecin-chef Adrien apporté lors d’un entretien en date du 15/07/2020
40 – AN 2247 p.44
41 – http://www.defense.gouv.fr/sante/le-ssa/missions/missions
42 – ASAF, Mémoire et vérité p.6
43 – http://www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/percy.html
44 – AN 2247 p.45
45 – Guide du parcours du militaire blessé et de sa famille p.59
46 – AN 2247 p 61
47 – Témoignage l’adjudant Philippe entretien du 17 juin 2020
48 – AN 2247 p.47 ; Ils sont à : Paris (Percy et Béguin), Brest (Clermont-Tonnerre), Bordeaux (Robert Picqué), Marseille (Laveran), Toulon (Sainte Anne), Lyon (Desgenettes), Metz (Legouest)
49 – AN 2247 p.48
50 – Entretien avec le médecin-chef Adrien en date du 15/07/2020
51 – Site http://www.invalides.fr
52 – Vidéo JDEF 2018 « INI, l’autre combat », Général de corps des armées Christophe De Saint Chamas, gouverneur des Invalides
53 – Ibid
54 – Ibid
55– Ibid, sergent Georges Lesur, blessé pendant la seconde guerre mondiale
56 – Ibid JDEF 2018 « INI, l’autre combat »
57 – Ibid Médecin général inspecteur Christian Plotton, directeur de l’institution
58 – AN 2470 p.44
59Entretien avec le colonel Patrice Martinez en date du 22/04/2021
60 Site www.defense.gouv.fr/familles/assurances-complémentaires
61 – AN 2470 p.38 et AN 2247 p.64
62 – http://www.defense.gouv.fr/blesses
63– ASAF, Mémoire et vérité, p.90
64 – Entretien avec l’adjudant Philippe du 17/06/2020
65 – Ibid
66 – AN 2247 p.64
67 – Ibid
68 – Ibid p.65
69 – «Recruter dans vos équipes un militaire blessé : un engagement pour l’entreprise»
70 – Entretien en date du 20/08/2020
71 – http://www.gueules-cassees.asso.fr/la-fondation-des-gueules-cassees–_r_103.html
72 – Ibid
73 – Ibid
74 – Ibid
75 – Guide du MEDEF p.19
76 – AN 2470 p.104
77 – AN 2470 p.62
78 – Guide du parcours du militaire blessé p 84
79 – Ibid
80 – AN 2470 p.64
81 – Revue les amis de la gendarmerie n°329 p.5
82 – AN 2247 p105
83 – Ibid
84 – Entretien avec Philippe en date du 17/06/2020
85 – Entretien avec Jamel en date du 20 juin 2020
86– Entretien avec Guillaume en date du 2 mars 2021
87 https://www.youtube.com/watch?v=uJb-5YQQcho
88 – Entretien en date du 02 mars 2021
89 – http://www.sports.defense.gouv.fr
90 – Discours J.Y Le Drian, 4 mars 2014
91 – CNSD fiche présentation
92 – Karma.ffme/partenaire
93 – CNSD Fiche présentation
94 – Discours J.Y Le Drian, 4 mars 2014
95 – Présentation par le capitaine Erwan entretien du 17/06/2020
96 – Wwwsports.defense.gouv;fr
97 – Note n° D-18-007072/ARM/EME/PERF/CPF/NP du 18 novembre 2018 relative au plan sport
98 – Entretiens du 17/06/2020 avec l’adjudant Benoît, de Olivier, Stéphane, Eddy
99 – Discours 04/03/2014
100 – http://www.defense.gouv.fr/terre/actu-terre/l-equitation-adaptee
101 – Ibid
102 – Institution de Gestion sociale des Armées
103 – La France s’est illustrée avec un total de 57 médailles dont 13 d’or, 20 d’argent et 24 de bronze, se hissant ainsi à la 4e place au classement des Nations. http://www.defense.gouv.fr
105 – 42 médailles d’or, 27 d’argent, 22 de bronze, http://www.csini.fr
Article publié dans le recueil du colloque « Handicap et conflit armés »
Article publié dans le recueil du colloque « Handicap et conflit armés »