Il est toujours un privilège de pouvoir franchir les grilles férronnées de l’Hôtel des états-majors. Celles-ci ne s’ouvrent que très rarement au public. Ainsi, à l’occasion des journées européennes du patrimoine, le délégué militaire départemental du Puy-de-Dôme accueille avec enthousiasme les Clermontois et Auvergnats désireux de découvrir ce lieu méconnu de Clermont-Ferrand. Sous la guidance de son état major et d’étudiants guide-conférenciers de l’ UCA, il invite les visiteurs à rentrer non seulement dans le bâtiment, mais aussi à remonter le temps pour découvrir l’histoire du quartier qui se mêle intimement à celle de la ville de Clermont mais aussi à celle de la France.
Ce bâtiment emblématique du cours Sablon n’est pas seulement un monument architectural, mais aussi un lieu de travail et de commandement. Il a toujours appartenu aux armées et depuis 2016, c’est le siège de l’état-major de la 4e brigade d’aérocombat. De ce fait toutes les pièces ne sont pas accessibles au public, seules celles qui offrent un intérêt culturel et historique comme l’immense escalier, la salle d’honneur et le bureau du général dévoileront leurs richesses patrimoniales.
La genèse du site
Ecoutons le délégué militaire adjoint répondre à cette question.

« Dans ce quartier du boulevard Trudaine devenu cours Sablon au milieu du XIXe, les notaires royaux gardent la trace d’un couvent de capucins créé par Henri IV en 1610. Bâti sur les fondations du tombeau de l’évêque Rencon, évêque de Clermont au XIe siècle, il marque l’histoire religieuse de la ville. Les religieux chassés de Clermont-Ferrand lors de la Révolution, le couvent sera vendu avant d’être en partie reconstruit en 1856. Par ailleurs, Des infrastructures militaires existaient déjà dans ce secteur de la ville : la caserne d’infanterie d’Estaing et le quartier de cavalerie des Paulines, qui deviendra le quartier d’artillerie Gribeauval. Ainsi, Le quartier général du 13e corps d’armée et de la 13e région militaire s’installe au 4, cours Sablon après la défaite de 1870. Une école d’artillerie est alors créée en 1881 au 31 cours Sablon et des champs de tir d’artillerie seront matérialisés au-delà des cols de la Moreno et de Ceyssat. »
L’urbanisation autour du cours sablon va se faire progressivement au détriment du quartier militaire, notamment après la seconde guerre mondiale, pour laisser place à un nouveau quartier, celui des étudiants avec l’implantation du Lycée Blaise Pascal et la faculté des sciences rue Carnot. Il reste encore une trace de ce passé au cœur de l’université avec l’ancien manège à chevaux transformé en amphithéâtre.
Le saviez-vous ?
Quel est l’origine du nom du cours Sablon ?. Cette avenue porte le nom du maire qui en décida la création. Antoine Sablon. né le 3 mai 1750 à Clermont-ferrand et décédé le 13 août 1811 dans cette même ville. Homme politique français. Il a été maire de Clermont-Ferrand à deux reprises : de 1791 à 1792 puis de 1800 à 1805.
Ce fut le premier axe urbain de Clermont-Fd goudronné en 1845. Il déjà offrait une belle perspective plantée d’arbres et bordées d’hôtels particuliers et d’immeubles cossus lieu de résidence privilégié de la haute société clermontoise. En face de l’ Etat Major, se dresse la maison d’un des frères fondateurs de MICHELIN. Le maréchal Pétain y aurait dormi le 29 juin 1940 lors du transfert du gouvernement vers VICHY. En 1854, la fontaine d’Amboise, précédemment installée place Delille, fut transportée au milieu du carrefour du cours Sablon et de l’avenue Carnot. Devenue un obstacle à la circulation, elle fut déplacée en 1962, la place de la Poterne.
Mais poursuivons notre remontée dans le temps :

« De 1940 à 1941, pendant 13 mois, le général de Lattre de Tassigny commandait les troupes de la 13e région militaire depuis le 4, cours Sablon. Son meuble bureau est classé au patrimoine des Armées. Il est aujourd’hui utilisé par le général commandant la 4e brigade d’aérocombat.
De 1945 à nos jours, se sont succédé plusieurs organismes militaires jusqu’à la création de la 52e division militaire territoriale (DMT), dissoute au début des années 90. La délégation militaire départementale du Puy-de-Dôme y a ensuite cohabité avec d’autres petites entités avant que l’hôtel des états-majors ne retrouve sa finalité opérationnelle avec l’installation de la 3e brigade mécanisée en juillet 2011 (devenue 3e brigade légère blindée en 2014).Puis le 1er juillet 2016, dans le cadre de la réorganisation de l’armée de Terre « Armée de Terre Au Contact », la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC) est créée. Son état-major est installé en lieu et place de l’état-major de la 3e brigade légère blindée. De fait, le général commandant la brigade cumulant aussi la fonction de délégué militaire départemental du Puy-de-Dôme, la DMD y réside toujours».
« En regardant la grille depuis la rue, observez les canons sculptés sur les piliers mais aussi sur la façade du bâtiment, les boulets empilés au sommet des piliers, les bombes sur les grilles et les inscriptions EA (École d’Artillerie) sur le portail. Ces symboles sont l’héritage de la première destination de ce bâtiment : le commandement de l’école d’artillerie de la 13e région militaire. D’autres symboles militaires et de l’arme de l’artillerie ornent la façade. Au fond de la cour, côté nord, un monument aux morts célèbre ceux qui furent exécutés ou déportés par les nazis pendant le 2e Guerre Mondiale. Le colonel Boutet et le commandant de la Madeline ont donné leur nom à deux terrains militaires de Clermont-Ferrand sur lesquels les soldats s’instruisent et s’entraînent encore aujourd’hui. Enfin depuis juillet 2018, un hélicoptère Gazelle est installé dans la cour témoignant de la nature opérationnelle et aéronautique de cet état-major.».


A la découverte d’un patrimoine vivant
Notre guide nous invite à franchir le seuil de l’hôtel des Etats Majors, siège du commandement de la 4e brigade d’aérocombat (BAC).
la 4e brigade d’aérocombat
La 4e brigade d’aérocombat (BAC) est l’Héritage de la 4e DAM (4e division aéromobile / 1985 à 1999) , la 4e BAM (4e brigade aéromobile / 1999 à 2010) et de la DIV AÉRO (2010 à 2016).Elle est constituée de trois régiments hélicoptères de combat située à Pau (64),à Phalsbourg (57) et à Etain (55).
Le saviez-vous ?
L’aérocombat est un mode de combat qui combine les forces terrestres et les hélicoptères dans une action mobile, puissante et précise.
La BAC se distingue grâce à son insigne. En bon héraldiste, notre guide nous décrit son blason « Trois alérions d’argent, adextrée en pointe d’un demi-sapin vert bordé d’argent et senestré en chef d’une étoile d’argent soutenant un vol en pal du même. Symbolisme : les armes de Lorraine évoquent le lieu de création de la division. Le sapin tiré de l’insigne de la 4e division rappelle sa filiation. La couleur bleue et l’étoile ailée précise son rattachement à l’ALAT.(L’aviation légère de l’armée de Terre)


Le saviez-vous ?
Le béret bleu azur qui distingue aujourd’hui le personnel de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) trouve son origine en 1954, année de création de l’ALAT.
Notre guide nous conte son histoire « En Indochine et lors des premiers déploiements de troupes en Algérie, le personnel servant les tous récents hélicoptères, sont disséminés au sein de plusieurs unités, souvent au profit de l’artillerie. Le commandant CRESPIN, souhaitant renforcer la cohésion des servants de ce matériel nouveau, obtient l’autorisation d’uniformiser la couleur du béret. Or, en Indochine, les troupes parachutistes avaient deux couleurs de béret : l’amarante pour les parachutiste coloniaux et métropolitains, un béret bleu pour les parachutistes vietnamiens formés par l’armée française. En 1954, la guerre d’Indochine ayant pris fin, un stock important de bérets bleus est disponible et permet d’équiper rapidement et facilement les premiers soldats de l’ALAT. La couleur bleu azur qui sied si bien à ces combattants du ciel de même couleur, n’est finalement que le fruit d’un heureux hasard. En 2024, nous fêterons le 70e anniversaire de l’ALAT. »
La salle d’honneur, salle Benjamin Gireud raconte l’ histoire de l’aviation légère de l’armée de Terre ALAT.
« Cette salle d’honneur a été refaite récemment. Elle a été rebaptisée salle commandant Benjamin GIREUD, officier du 5e RHC de Pau tué lors d’une opération périlleuse le 25 novembre 2019 au Mali avec douze autres militaires, dont le maréchal des logis-chef Antoine SERRE du 4e régiment de chasseurs de GAP. Antoine SERRE non loin de RIOM, et une autre salle porte son nom.
Ainsi, cette salle de réunion réaménagée progressivement depuis l’arrivée de la 4e brigade d’aérocombat en juillet 2016, a vocation à présenter succinctement l’histoire de la brigade de 1954 à nos jours, en particulier les chefs qui se sont succédés à la tête de cette unité. Les nappes de couleur bleu azur sont brodées avec les insignes de la 4e BAC, des 3 régiments d’hélicoptères et de la 4e compagnie de commandement et de transmissions de l’aérocombat. Les nouveaux promus, les décorés ou encore nos invités sont accueillis dans cette salle pour leur faire découvrir cette histoire riche et tourmentée. »
L’escalier majestueux à deux volets accède au 1er étage.
Un arrêt dans ce vaste espace, permet à notre guide d’attirer notre attention « Sur la gauche, le portrait en pied du général Marchand a été peint par Jean-Louis Paguenaud. A l’étage, un tableau de Septime Le Pippre représente un épisode des combats d’ICHERIDEN qui eurent lieu le 24 juin 1857 en Kabylie. Ces deux tableaux ont été apportés par l’état-major de la 3e brigade mécanisée qui déménagea de Limoges à Clermont-Ferrand en 2011. Ils sont inscrits au patrimoine de l’armée de Terre. Au niveau du palier intermédiaire, une magnifique tapisserie d’Aubusson illumine la montée d’escalier. »Avant de ne détailler chacune des trois œuvres.
Le portrait du général Marchal

Le saviez-vous ?
Engagé volontaire en 1883 au 4e régiment d’infanterie de marine de Toulon, Jean-Baptiste Marchand sort sous-lieutenant de l’École militaire d’infanterie de Saint-Maixent en 1887. Il passe la majeure partie de sa carrière en Outre-Mer. Il assure entre autre le commandement de la « Mission Congo-Nil » à Fachoda. Il reprend l’uniforme avec le déclenchement de la Grande Guerre. Bien que blessé grièvement plusieurs fois, on le retrouve sur les batailles de Champagne en 1915, de la Somme en 1917,sur le Chemin des dames, devant Verdun, sur le saillant de saint-Méhiél (hiver et printemps 1918) puis devant Château-Thierry fin mai, où il interdit aux allemands le passage de la Marne. Il combat sur cette position jusqu’au 27 juin 1918.
« Le portrait du Général est impressionnant par la majesté qui s’en dégage. Il est serein, calme, lumineux, arborant sur sa vareuse la Grand-Croix de la légion d’Honneur dont il a été décoré en 1921. Dans la main, il tient un document qui pourrait être son diplôme de Grand-Croix de la Légion d’Honneur. L’arrière-plan sombre et tempétueux, souligné par l’effet du vent sur le bas de sa vareuse, contraste avec l’éclat de son uniforme bleu horizon et l’impassibilité du visage ».
La bataille d’ICHERIDEN
« Le combat d’Icheriden quant à lui évoque un épisode de la révolte de grande Kabylie. Cette toile à l’huile représente un officier, le sabre à la main, conduisant sa troupe. cette scène met en avant l’héroïsme et l’allant des soldats français. Cette toile de Septime-Emeric-Marie Le Pippre fut exposée au Salon de 1863. Elle n’est pas sans rappeler deux œuvres classiques de la peinture académique du 19ième siècle. Comme dans « La bataille de Mons-en-Pévèle », d’Auguste Larivère. Le cheval bondissant, fougueux est au centre de la toile, mais aussi du champ de bataille. Le cavalier quant à lui est haut sur ses étriers, brandissant son épée pour mieux entraîner ses soldats, tout en surplombant ses ennemis, blessés ou morts. De la même manière qu’Eugène Delacroix dans sa Liberté, Le Pippre représente, au premier plan de sa composition, un homme mort, a demi nu. »

Le saviez-vous ?
Septime-Emeric-Marie Le Pippre (1833-1871) souhaite embrasser le métier des armes mais échoue à l’examen de Saint-Cyr. Il devient alors peintre et aquarelliste. Il est un élève du peintre académique Thomas Couture et du peintre militaire Charles-Édouard Armand-Dumaresq. Ami du général du Bessol, il usera finalement de ses talents d’artiste pour côtoyer le monde militaire en peignant nombre de scènes de la vie de soldats, d’uniformes, ou encore de batailles des campagnes d’Algérie et de Crimée. Le Pippre est donc familier des campagnes militaires lorsqu’il réalise ce tableau en 1862.
Il s’engagera en 1869 dans la garde nationale mobile du Calvados. Lors de la guerre franco-prussienne, il est blessé dans la Sarthe, il meurt quelques jours plus tard en janvier 1971 Sa dépouille est ramenée à Villers-le-Sec (14) où a lieu une cérémonie funèbre au retentissement quasiment national.
La tapisserie d’Aubusson
Le saviez-vous ?
Dès le XIVe siècle, la ville d’Aubusson développe un savoir-faire dans la confection de tapisseries. Cet art est déjà connu en Flandres. Certains maîtres flamands viennent s’installer à Aubusson, sans doute attirés par la particularité de la Creuse dont l’eau acide et cristalline dégraisse la laine et fixe naturellement les couleurs.
La manufacture devient « royale » en 1665 sous l’impulsion de Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV. Elle vit au rythme des vicissitudes de l’Histoire de France, depuis la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 forçant à l’exode nombre de tapissiers protestants. Elle connaît aussi des périodes fastes, notamment au cours du XVIIIe siècle.

« Voici enfin, la tapisserie d’Aubusson. C’est une portière à fond fleurdelisé, aux armes de France et d’Aubusson située au centre et de la famille Laboreys sur le bas. Elle a été réalisée avec la technique pratiquée dans les ateliers de la manufacture : la basse-lisse. Elle est en soie et en laine. Elle pèse environs 8 kg. La symbolique des motifs est importante dans cette œuvre. En effet, les blasons du roi de France et d’Aubusson sont accolés, comme il est de coutume de le faire lors d’un mariage noble, avec les armoiries des deux époux. En étant distinguée par le roi par la fondation de la Manufacture, c’est comme si la ville épousait la monarchie et lui vouait fidélité. Les armoiries de l’épouse sont toujours à droite et celle de l’époux à gauche. Le royaume de France représente donc l’élément « viril » et la ville lui doit obéissance, selon les normes des unions en vigueur à l’époque. En bas de la tapisserie figure la date de sa création, 1751, ainsi que les noms des artisans l’ayant confectionnée. Cependant, plusieurs copies furent réalisées au cours du XXe siècle. Son état de conservation exceptionnelle interroge, s’agit-il de l’original ou d’une copie ? »
Le bureau du général
Le bureau du général commandant la 4e BAC est un lieu chargé d’histoire et de vie où chaque objet à sa signification que notre guide s’empresse de nous expliquer.

« Tout d’abord, le fanion de commandement du général. Il le suit partout. Lorsqu’il est présent, un support permet de l’exposer à l’entrée de son bureau. Il indique sa présence.
Le meuble de bureau du général fut utilisé par le maréchal de Lattre de Tassigny, lorsqu’il était général commandant les troupes de la 13e région militaire en 1940-41. Derrière le bureau, un tableau de la 4e division et son étendard. Entre les deux fenêtres, les étendards des régiments commandés par le général ».
Né le 2 février 1889 Jean de Lattre de Tassigny est promu général de brigade en 1939, à Strasbourg, il est alors le plus jeune général de France. En janvier 1940, il prend le commandement de la 14e DI à Rethel. Pendant l’offensive allemande de mai 1940, les unités de De Lattre repoussent l’ennemi à trois reprises, lui faisant deux mille prisonniers. Pendant la débâcle, il continue à se battre à Mourmelon, à Nevers et devant Clermont-Ferrand où il se replie. Après l’armistice, nommé adjoint pour le commandement des troupes de la 13e Division militaire de Clermont-Ferrand, il se consacre à la formation des cadres pour l’armée à Opme dans le Puy-de-Dôme.
En septembre 1941 il est nommé commandant supérieur des troupes de Tunis. En janvier 1942, il est nommé commandant de la 16e division militaire à Montpellier et promu général de corps d’armée. A l’arrivée des forces allemandes en zone sud, en novembre 1942, il donne l’ordre à ses troupes de résister. A, arrêté, il est interné à Toulouse, puis au Fort Montluc à Lyon. Condamné à dix ans de prison en janvier 1943, il est transféré à Riom, d’où il s’évade, grâce à la résistance française, dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943, pour rejoindre Londres.
Le 11 novembre 1943, il est promu général d’armée par le général De Gaulle qu’il rejoint à Alger cinq semaines plus tard. Le 24 septembre 1944, le général de Gaulle lui remet la Croix de la Libération

Cette visite a été extrêmement intéressante et enrichissante, et nous tenons à adresser nos plus vifs et sincères remerciements au délégué militaire adjoint qui a été un guide passionnant. Il a également mis à notre disposition toutes les informations et illustrations qui on permis d’écrire cet article.